Saison 5 - Chapitre 1 : Esprit d’équipe

Depuis la maison dans laquelle Pablo Neruda avait choisi de vivre à Valparaiso, «je suis un marin au port» aimait-il à rappeler, sous nos yeux la baie mythique. Au cœur de Santiago, et au nom de tout un peuple Salvador Allende n’a jamais cessé de veiller sur le Palais de la Moneda. A Ponta Arenas, sur les bords du détroit éponyme, Magellan nous rappelle la dimension de son destin.

Quelques étapesinitiatiques pour découvrir autant que le Chili, l’hospitalité bienveillante de ses habitants, préalable enthousiasmantsur la route qui nous mène jusqu’à la Cardinale.

Nous sommes samedi. Alors que nous quittions Puerto Natales il y a deux jours, le capitaine a pris la décision ce matin de revenir sur notre sillage. Il venait de prendre connaissance du message de son ami skipper de « l’Esprit d’Equipe ». N’ayant pas résolu son souci de démarreur en panne, Thierry sollicitait Benny qui l’avait informé en avoir un en réserve à bord de la Cardinale. Je ne laisse pas un pote dans la panade nous explique-t-il simplement. Décision juste qui nous rappelle que nous sommes au bout du monde, dans un milieu hostile et que 800 miles nous sépare du prochain port. Une fois appareillés, tous les marinssavent ici qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, et sur la solidarité des gens de mer.

Puerto Natalesest unepetite villede pionniers, ‘toute seule au choeur de la Patagonie. Sa situation extrême en fait le « camp de base » des expéditions à destination du parc national de las Torres de Paine. C’estdans le dernier port de ce bout du monde qu’avec grand bonheur, nous retrouvonsnotre ami Benny. Il nous attend depuis quelques jours après le départ du précédent équipage et de sa Jeanne.

Notre camp de base pour assurer l’approvisionnement du bateau pour les quatre prochaines semaines de navigation, et l’embarquement du nouvel équipage que le capitaine du bord a constitué pour cette dernière étape de la saison, Jean-Pierre, Christophe, Sylvie et Xavier.

Depuis longtemps, el «baron» Bernard de la Croix de Ravignan, chevalier du Grand Sud est libéré des attributs que lui octroie la longue lignée d’aristocrates gascons dont il est issu. Benny en a gardé un attachement indéfectibleà l’exceptionnelle histoire de sa famille, et aux valeurs de générositéqui le définissent. Celles qu’il réserve aux rencontres et aux amitiés de sa vie, elles nous valent aujourd’hui, et nous en mesurons le privilège de partager une petite part de ses rêves.

Jean-Pierre, bien nommé « Eagle 4 » par ses camarades de jeux, est le beau-frère de Benny. Rond, jovial, gouailleur, il est le sympathique et indispensable amuseur du bord. Christophe, dit « l’Amiral » est calme, posé et réfléchi. Un ami de longue date de Jean-Pierre, et tout son opposé. On comprend en apprenant à les connaitre que ces deux-là en ont partagé des virées, et d’autres aventures,pas que sages, pas que sobres. Sylvie et moi Xavier.

« Je rends grâce à cette terre d’exagérer à tel point la part du ciel… »

Quelques journées après notre arrivée, il est impossible d’exprimer mieux nos premières émotions que ne le fît Roger Caillois, quand il écrivit cettephrase inoubliable. Jean Raspail nous la rappelle dans son ouvrage « Adios, Tierra del Fuego ». En toute circonstance, les cieux qui couvrent les sommets majestueux de la Cordillère dessinent avec eux des arabesques singulières qu’ils nous offrent dans des jeux d’ombre et de lumière inlassablement réitérés.

Le départ

Jeudi 18 avril. Grand Jour, à plus d’un titre.

Nous quittons Puerto Natales pour une première petite étape sage de mise en jambe. Ellenous mène à la‘Bahia Easter’ dans l’amorce du canal Valdès. Premières manœuvres pour l’équipage, le Capitaine soignant son approche, et le retournement à cul au vent du bateau vers le fond de la caleta. Jean-Pierre gère le guindeau et le déroulement de la chaîne. Les deux lamaneurs, Christophe et Xavier embarquent sur l’annexe pour aller frapper les longues aussières à terre autour de deux troncs d’arbres, tandis que Sylvie assure leur bon défilement hors du bateau.

Une première caleta de rêve, pour une soirée de fête. Nous célébrons ce soir les 66 bougies de Pidou. « Baron B », champagne argentin et gâteau aux pommes préparé par Sylvie, sans oublier les petits cadeaux ‘surprise’ de Laurence qui a pensé aux petons de son chéri. En cadeau additionnel, avant le coucher, une échancrure dans le ciel nuageux nous offre la lune pleine, et la Croix du Sud.

Le lendemain vendredi, le skipper nous emmène dans le canal Santa Maria.Après avoir embouquer l’angostura White, une passe étroite au pied de la Cordillère des Andes qui fige la limite entre les sommets blancs et acérés de la haute montagne à l’est, et la pampa à l’ouest, nous atteignons la caleta Mousse. Un peu de tension peut-être pour l’équipage face à la racha*agressive qui nous accueille au moment de franchir le seuil de la ‘bassine’,mais pas l’ombre d’une hésitation pourBenny qui engage la Cardinale avec conviction. Les rachas bien présentes toute la nuit jusqu’au petit matin décotentsensiblement la note favorable que la caleta Mousse mérite.

*racha, rafale de vent très violente et inattendue qui tombe de la montagne. La racha peut gâcher la nuit du skipper, voire de l’équipage, mais à priori pas le sommeil de Jean-Pierre.

Faux départ

Samedi20 avril - Poussée par une jolie brise d’ouest, la Cardinale s’est envolée pour nous ramenervivement versPuerto Natales à travers leGolfoAlmirante Montt. Sous un beau ciel ensoleillé, grand-voile haute et génois déroulé, elle semble danser la drille avec les dauphins joueurs. Filant à plus de 9 nœuds, assurément une démonstration de séduction de sa part pour le plaisir de tous, et la fierté du Capitaine.

A 16:30, la Cardinale s’accouple à l’Esprit d’Equipeen face de Puerto Natales, dans l’étroit bras de mer qui relie le Golfo à l’Ultima Esperanza. Deuxheures plus tard, mais après 48 heures d’unelongue inquiétude, leperkins endormi redémarre. La greffe d’organe entre les deux bateaux est une réussite pour le plus grand bonheur de Thierry et de son équipage. Pour célébrer l’évènement, soirée de gala à bord d’Esprit d’Equipe et tenue soignée de notre Capitaine. A table, l’agneau pascal est servi. Il a été préparé « aux petits oignons » par Marion. Elle attendaitpatiemment la bonne occasion de servir son gigot accroché depuis 3 semaines dans le pataras du bateau. Soirée justement arrosée comme il se doit grâce aux bons crus du bord. Malgré nos tentatives, nos arguments n’auront pas suffi àconvaincre l’équipage d’Esprit d’Equipe d’accueillir Eagle 4 à son bord. L’animal, il a de la ressource, n’a finalement pas su apprivoiser re la Marion du bord qui lui a bien rendu ses railleries.

Dimanche de Pâques

Grand beau temps. Tout le monde sur le pont pour activer le vrai départ, il est vrai un peu pressé par celui de l’Esprit d’Equipequi nous oblige à accélérer le nôtre. Dans cetteprécipitation, je suis le malheureux disposé à la cafetière. Je ne la connais pas celle-là, et c’est bien dommage (!). Sur la plage arrière, au-dessus de l’eau, je renverse tout bonnement le réceptacle pour verser le marc de café par-dessus-bord. Sans surprise pour qui sait, mais à la mienne incrédule. Il entraine par voie gravitairele filtre-réservoir pour un grand bain. Celui-là irréversible.

Jolie navigation à travers le canal Santa-Maria, relais, taboulé, sieste pour les uns, bonne humeur générale. Sur ce trajet, le parcours est régulièrement animé par les rencontres inopinées de ceux qui empruntent régulièrement cette voie, grâce à laquelle les navires de travail, rouliers, caboteurs et caseyeurs assurent son ravitaillement, et la vie de la petite colonie de Puerto Natales.Une belle journée de Pâques, non sans la découverte surprise des œufs Kinder dans les bannettes des garçons, à l’initiative de la maman du bord.

Fin de parcours sous l’émerveillement de la belle chaîne de sommets de la « Péninsula las Montanas » et du magnifique glacier qui vient mourir dans une faille étroite de la montagne, au-dessusde l’océan.Nous atteignons en fin de journée la caleta Jaime. Ty punch, papas à l’ail, œufs miroir de Pâques et jambon du pays breton dans l’assiette.

Xavier Fraud