Saison 6 - Journal de bord du Cook 3 : 6 mai au 11 mai
Mercredi 6 Mai : départ pour la Polynésie
La bonne nuit complète au mouillage promise n’est pas au rendez-vous. De puissantes rachas dévalent la montagne, s’enflent dans le creux où se niche San Juan Baptista et viennent ronfler dans le gréement. La cardinale tire sur la petite bouée comme un étalon qui voudrait s’échapper du corral. Les épouvantables grincements qu’expriment les bouts dans les chaumards commencent à m’inquiéter et je me lève un peu avant 6H00. Bernard avec son sixième sens de skipper plus qu’expérimenté est déjà à bricoler, penché à l’avant. Le temps que nous discutions de la meilleure solution, le bout fatigué de la bouée casse et nous partons à la dérive vers le large. Nous démarrons le moteur et le reste de l’équipage bondit des bannettes, subodorant une manœuvre. Nous allons remouiller au plus près de la grève. L’ancre solide de la Cardinale croche immédiatement et à 6H30 chacun se recouche doucement pour une grasse matinée. Au petit déjeuner, Bernard appelle l’armada pour leur signifier que le bateau a bougé car ils surveillent tout et en ce moment, ils doivent manquer de clients !!
10H00 Bernard et moi attaquons le remontage de l’alternateur d’arbre, en suspens depuis Puerto Montt. Il faut déplacer les câbles d’accélérateurs et d’arrêt moteur et nous piquons une grosse suée en bleu dans la cale moteur. A 12H00 tout est repositionné comme prévu puis testé et je tombe le bleu aussitôt pour me baigner dans une eau fraîche mais délicieuse avant de me doucher sur la plage arrière. Il fait déjà 24 degrés, Jeanne m’imite avec ravissement et nous dégustons une salade bien fraîche au soleil dans le cockpit. Hervé et Yves ont vu un pêcheur sortir plusieurs langoustes d’un vivier et venir leur en montrer une énorme, mais malgré les signes d’Hervé il ne s’approchera pas. Quel dommage … A 14H00 comme prévu nous levons l’ancre. Nous sortons de la baie à petite vitesse pour que j’effectue un relevé de plancton que je place dans un petit flacon pour Patrice. J’espère que dedans il y a des diatomées Crusoé !! Nous nous éloignons petit à petit de l’île et c’est un sentiment très différent de celui lorsque l’on a quitté le continent Sud-Américain. Le lever de pleine lune alors que l’on distingue encore les contours de SANTA CLARA est majestueux. Les conditions sont idéales : 15 Nœuds de vent, grand largue bâbord amure, petite houle trois quart arrière et le projecteur lunaire qui fait scintiller la crête des vagues. C’est parti pour quelques milliers de milles.
Jeudi 7 mai : un peu de technique !! (Pour ceux que cela intéresse, sinon rendez-vous directement au paragraphe « En mer »)
Une chronique technique (ça change) destinée à tous : ceux qui voient apparaître au fil de ma plume des termes barbares incompréhensibles, les ingénieurs non marins, les marins non bricoleurs, les marins techniciens qui ne connaissent pas La Cardinale. Ceux qui ont déjà honoré la vieille dame de leur présence en navigation savent que le maître à bord ne survivrait pas sans bricoler et que s’ils aiment cela, ils ont probablement déjà été servis. Le cas contraire, ils ont une admiration sans bornes pour notre lieutenant chef de brigade GICN (Groupe d’Intervention sur la Cardinale en Navigation), également capitaine des forces GRECC (Groupe de Rénovation et d’Entretien de la Cardinale en Cale sèche, limitées à un petit nombre de spécialistes.
Le Yacht (El Yate en espagnol) La Cardinale est une goélette franche de 50 Pieds (environ 15m) équipé d’un bon nombre d’équipement de confort nécessitant du courant et consommant donc des Ampères. Accrochez-vous, c’est une lutte sans merci. D’un côté les nobles bouffant des Ampères avec goinfrerie toute la journée ou presque sans discontinuer : le réfrigérateur (très gourmand en permanence) et son cousin le pilote automatique (très très gourmand en navigation quand la mer se fâche) ; l’électronique et les lumières (consommation qui s’élève en fonction du nombre de trucs-machins-bidules allumés et croyez-moi y a de quoi faire) ; le groupe d’eau qui fournit l’eau sous pression et son grand copain le dessalinisateur dont la goinfrerie le positionne largement au-dessus de tout le monde. Plus d’autres : les pompes diverses (vidange d’eaux usées, cale moteur, cale tout court) qui tournent épisodiquement ; les assistants de manœuvre : le guindeau électrique très puissant pour remonter l’ancre et la chaine (à la main, ce n’est pas gagné), et le propulseur d’étrave pour faciliter les manœuvres. Tout ce beau monde est alimenté par un parc de batteries 24 Volts qui ne demande qu’à s’épuiser si on ne le recharge pas. Là intervient la deuxième catégorie : les serfs, travailleurs de l’ombre, bossant toute leur vie pour offrir aux nobles des Ampères. Ils s’acquittent de leur tâche plus ou moins efficacement selon les conditions. Les panneaux solaires sont à l’aise par beau temps, l’éolienne par bon vent, le système WATT and SEA (hélice génératrice de courant plongeant derrière la poupe) et l’alternateur d’arbre (qui est couplé à l’arbre d’hélice) par vitesse confortable. Quand Neptune et Eole sont avec nous, tout ce petit monde au travail garantit aux nobles consommateurs de s’en donner à cœur joie. Mais quand le chômage pointe le bout de son nez, exemple d’une nuit sans vent au mouillage dans une Caleta, c’est la cata. Comme la chute du CAC40 lors d’une attaque de Coronavirus et on fait alors appel aux réserves non pas d’Euros mais de Gasoil qui vont alimenter l’économie des ampères à travers deux moteurs. Le principal, notre bon vieux Perkins 90 CV avec ses deux alternateurs 24 et 12 V, et notre groupe électrogène qui fournit du 220V. Oups !! J’ai oublié un ou deux détails qui complexifient l’ensemble (au grand bonheur du lieutenant du GICN). A bord nous avons : du 24V Pour le confort, du 12V car les batteries de démarrage du Perkins sont en 12 V comme nos chères voitures et du 220V (il faut bien alimenter ordinateurs, perceuses et autres mixers de cuisine ou fer à souder). Pour que tout ce petit monde cause bien ensemble une autre catégorie d’engins entre en scène : les interprètes si je puis les nommer ainsi. Un chargeur 24V et un autre 12V qui transforme le 220V produit par le groupe (ou fourni par une prise de courant à quai) et un convertisseur 24V vers 220V pour alimenter les appareils dans cette tension à partir des batteries. Qu’un seul de ces interprètes bafouille son langage et c’est de nouveau une source d’ennui pour les nobles consommateurs. Pour cela, les surveillants veillent au grain et mesurent à travers une multitude de cadrans et voyants divers, en couleur ou non, l’état et la consommation permanente de l’ensemble. Si vous avez bien suivi, vous avez compris que pour notre confort, nous vivons un œil sur les cadrans, une main pas loin des trousses à outils, prêt à intervenir. Quand tout fonctionne et débite c’est Byzance ; à nous l’éclairage Versaillais, l’eau chaude et la recharge de nos chers appareils numériques. Sinon nous vivons avec nos lampes frontales dès la nuit tombée et nous nous lavons dans un bol ou à l’eau salée.
EN mer 11H00 : Hier soir, tous nos systèmes producteurs de courant étaient opérationnels, c’était la fête et par conséquent le silence car nous n’avons pas eu à allumer le groupe pour recharger les batteries. Malheureusement le vent est tombé graduellement dans la nuit, il est en dessous de 5 Nœuds ce matin et malgré l’envoi du spi, la vitesse oscille autour de 2 Nœuds asthmatiques. Nous voyons parfaitement l’île SELKIRK (Mas de Fuera) sur notre bâbord, à 50 Milles. Comme elle culmine à 1650 m elle se détache sur l’horizon et sans la cartographie on la croit beaucoup plus proche. L’ambiance est au farniente et à la cuisine, portée par la patience du marin dans les petits airs.
Calme Plat 14H00 : le vent s’évanouit complétement, il ride encore à peine l’eau et nous affalons le spi. Bernard en mode fausse régate met le moteur et essaie de regonfler le génois. Peine perdue par deux nœuds de vent réel. Tout le monde s’abîme dans la lecture. La lecture du bord est très fournie : livres de voyages, thrillers, chroniques maritimes, romans d’écrivains sud-américains célèbres (Sepulveda, Borges, Coloane) ou inconnus. Je retrouve le plaisir de lire à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Hier, plus de deux heures pendant mon quart, j’ai dévoré « Aux Confins du monde » de Lucas Bridges que Patricia avait tant aimé l’année dernière lors de la remontée de La Cardinale dans les Canaux. Les livres tournent et certains repas ont une ambiance marquée café littéraire. A 17H00, nous voyons toujours l’ile SELKIRK par notre arrière maintenant car nous avons décidé de remonter au Nord sur les conseils d’Alain qui nous route. Beaucoup de mails sont arrivés de France et la tension de l’arrivée du déconfinement est palpable. 17H30, Hervé appelle alors que je suis en cuisine, il a ferré un petit thon mais je ne suis pas assez rapide pour le hisser à bord et il se décroche au tableau arrière d’un coup de queue. Ce sera donc boudin purée pommes rôties comme prévu au grand bonheur du capitaine qui adore les priettas (petit boudins) et de l’équipage qui trouve l’assiette succulente. Après un petit 5000, autorisé par le zéphyr nocturne, les quarts débutent dans la quiétude de la longue houle pacifique …
Vendredi 8 MAI : Au près (de nouveau)…
On nous avait promis des alizés et des allures portantes mais le Pacifique commande. Il faut dire que nous ne sommes pas sur la route classique des tours du mondistes qui descendent depuis les Galapagos après avoir traversé Panama, bien plus au Nord. Mais l’allure, par dix nœuds de vent est agréable pour ceux qui sont encore bercés dans les bannettes. Ce jour férié, ne doit pas changer grand-chose pour la France, dans les starting blocks du déconfinement. Le vent refuse un peu avant 8H et Hervé occupé à griller le pain du petit déjeuner n’a pas le temps de réagir, le génois est déjà passé à contre. Cela réveille le reste de l’équipage qui somnolait encore et qui manœuvre rapidement pour virer, relancer la Cardinale avant de se jeter sur le bon pain SEC grillé (Joke : le surnom d’Hervé, notre boulanger en chef est « SEC » ). A 18 nœuds de vent, ça gite sec et le petit déjeuner est tout de suite plus acrobatique. J’ai remis la ligne, trop tardivement car les meilleurs moments sont le lever et le coucher du soleil, confirmés par nos touches depuis le départ. Café littéraire ce matin, nous débattons autour du livre peu connu « la troisième Race » écrit par un Belle Ilois en 2010 et que nous avons tous dévoré. Ulf et Pia nous l’ont offert à Puerto Montt, ils avaient rencontré l’auteur dans le port du Palais lors de leur longue descente vagabonde depuis la Suède. Le titre est issu de la célèbre phase d’Aristote : « il y a les vivants, il y a les morts et il y a ceux qui vont sur la mer ». Je pense à cette phrase chaque fois que nous allons discuter avec les pêcheurs, copains de Patricia, prêts à repartir dans presque toutes les conditions, ou que nous voyons rentrer les bateaux à la jumelle, bien à l’abri dans la salle à manger : l’Almanecer, le Tangaroa ou le Joker. Il faut avoir pris le temps de visiter un de ces chalutiers pour comprendre que ce métier est différent de tout autre et que la phrase le résume à merveille. « La troisième race » raconte l’histoire d’un naufrage lors d’un ouragan non prévu en méditerranée au sud des Baléares. Trois jeunes copains de Nevers cassent leur tirelire pour racheter un Ketch anglais en bois, vieux de 65 ans. Ils le retapent, le descendent par les canaux jusqu’à Marseille, le réarment et appareillent avec leur chien destination Rio de Janeiro en 1978. En Octobre, après un arrêt à Majorque, ils sont surpris par la tempête, monstrueuse, et leur bateau étant en train de couler, sont sauvés par l’équipage d’un cargo Estonien. L’auteur, devenu l’ami de Michel, un des trois camarades installé comme photographe sur Belle Ile, accouchera 32 années plus tard de ce récit poignant mais surtout s’échinera à faire obtenir la médaille du sauvetage (privilège de la SNSM) aux marins estoniens encore en vie. La cérémonie aura finalement lieu à Tallin, avec une médiatisation locale émouvante et un relais sur les médias nationaux. Un des points d’orgue du récit est le sauvetage de Dick, le berger belge du skipper, que les Estoniens s’évertueront à récupérer en engageant deux manœuvres dangereuses pour le cargo, mis en travers des déferlantes, alors que les trois Français sont déjà à bord en train d’être réconfortés. Ils avaient vu les efforts désespérés du maître pour sauver son chien dans les conditions dantesques et décidé de ne pas abandonner la pauvre bête. Aventure de mer peu commune, le café littéraire bat son plein et nous échangeons sur nos impressions du récit et nos souvenirs de coup de vent devant les tasses que l’on tient à la main. Nous nous promettons d’aller boire un coup avec l’auteur au Palais et de se faire dédicacer quelques exemplaires à offrir.
Le vent monte avant le repas. Nous prenons un ris dans la misaine et la grand-voile et le déjeuner sera servi dans des bols pour plus de sécurité. Le ciel est devenu gris, la ligne de pêche ne donne toujours rien et je change le leurre en choisissant une couleur plus pétante (rose, jaune et un peu de blanc). Des grains passent, apportant un peu de pluie fine, rien de bien méchant. Toujours rien sur la ligne au coucher du soleil. Nous avançons bien par 15 à 18 Nœuds de vent, quasi plein ouest cap sur l’île de Pâques, bien qu’Alain nous conseille de continuer à monter vers le Nord. Nous avons tous envie d’aller voir les Moas, même confinés au mouillage. Le vent décidera. Je suis hors quart cette nuit et vais plonger « Aux confins de la Terre », c’est-à-dire en Terre de Feu, fin 19ème siècle avec Lucas Bridges.
Samedi 9 Mai : Bredouilles …
14ème jour à bord, nous avons fini notre période de quarantaine et tout le monde est en pleine forme. A priori, le coronavirus n’a pas embarqué sur La Cardinale. Matinée tranquille, les poissons pélagiques nous boudent. Hervé démonte les rebords et les fargues du plan de travail de la cuisine qui laissent filtrer l’eau à la gite. IL nettoie tout comme seul lui sait le faire (un de ses surnoms à bord est « le nettoyeur ») puis remonte l’ensemble avec du joint silicone. Il devait être en mal de bricolage.
Ciel gris, sans pluie, de grandes plaques de cumulus s’étalent pour nous cacher le soleil. Le vent varie constamment en force (de 10 à 20 Nœuds) et en direction (plus ou moins 20 degrés), nous avons mis le pilote automatique en « mode vent », c’est-à-dire qu’il suit un angle constant avec le vent apparent. Cela marche pas trop mal par mer peu formée et nous évite d’avoir un œil en permanence sur le cadran indicateur de vent. De toutes les façons nous privilégions toujours la vitesse au cap, La Cardinale n’a pas une carène de 12M JI… 17H00 Re-re-re changement de leurre pour la fin de journée, on repasse au rose fluo. Peut-être que nos copains poissons attendent le soleil. Dans l’après-midi j’ai changé de bannette pour être à la gîte à tribord, c’est plus confortable. J’ai déménagé tous nos gros sacs et le spi à bâbord, sportif avec la houle. En course, on appelle cela « matosser », c’est-à-dire mettre du poids au vent (en général les voiles) pour améliorer le rappel du bateau. Nous ne sommes pas en course et je ne pense pas que ce que j’ai transféré change la donne sur notre vaisseau de plus de 20 tonnes. Ce soir couscous saucisses (pas de merguez à bord) servi à l’assiette, gite oblige. Nous rentrons la ligne après le dessert avec Bernard …toujours bredouilles !!!
Dimanche 10 Mai : un long Dimanche de Cardinale
Uniformité. Le ciel est le même qu’hier avec des cumulus plus étalés qui laissent deviner par moment une toute petite tâche de bleu. La mer aussi déroule sa longue houle gris bleu. Cela trainait dans les bannettes ce matin, à part Bernard en fin de quart et le petit déjeuner a été tardif comme un dimanche de travailleur. La ligne a été posée au lever du soleil mais elle ne daigne pas se tendre. Nous avons un système confectionné avec trois gros caoutchoucs de bocaux à conserves reliés entre eux, qui reprennent la tension et que l’on positionne juste avant le taquet où nous amarrons l’extrémité de la ligne. Si un poisson mort, les caoutchoucs se tendent à fond et la petite boucle que faisait la ligne à cet endroit disparait, ce qui permet de voir immédiatement qu’il y a quelque chose. Malgré nos regards réguliers vers le dispositif, rien ne se passe.
Un coup de vin c’est Dimanche et nous appliquons la maxime à la lettre (pas la contrepèterie). Jeanne prépare des cookies express pour le café. C’est bien Dimanche. Nous comatons au rythme des accélérations dans les grains et des ralentissements dans les molles. Avec Jeanne, nous copions les paroles du « peuple irlandais » à l’écoute des Shangaïés sur sa tablette. Quelles voix avait ce groupe, trop tôt disparu. Avec une bonne tasse de thé dans le cockpit, nous commençons à apprendre la chanson. Ce serait bien de la chanter avec Boutôvent, notre groupe musical, le violon d’Elise et l’accordéon de Gaétan … nos répétitions en Vendée me manquent. Bernard fait un peu de voilerie, recouvrant avec de la gaine un endroit de la drisse de spi qui est abimé. Hervé redort, c’est notre marmotte du bord, puis attaque la boulange en attente depuis deux jours. La houle est devenue plus longue et plus haute, certainement la cause d’un vent soutenu plus au sud. Le dernier fichier météo chargé via l’Iridium (téléphone satellite) est encourageant pour les deux prochains jours, avec des vents portants donc moins de gite, mais un peu faibles.
J’ai reçu plusieurs mails aujourd’hui dont ceux de Patrick et Françoise puis Christophe et Rosa. Pour nous qui avons peu de communications avec l’extérieur en dehors de la boite mail du bord et des courts sms sur le Garmin in-reach , un petit message de quelques lignes est un bonbon de douceur que l’on relit plusieurs fois avec bonheur et que souvent nous partageons pour donner les nouvelles du pays si lointain. Ce soir c’est haricots au lard et notre mémoire de bédéphile trouve vite la référence : « La diligence », Lucky Luke, un classique de Morris. La comparaison s’arrête là car l’objectif de l’équipe de cuisine est de proposer de la variété ce que modestement soit dit nous réussissons à offrir à l’équipage. Un bon Carmenere accompagne le tout, pour notre plaisir œnophile dominical. On innove ce soir : Yam’s au lieu du 5000, la houle roule des dés avec la délicatesse qu’il faut pour laisser Yves et Bernard nous battre à plat de couture pendant que le Sec bouffarde à l’étage comme tous les soirs. L’étage ? C’est le nom pompeux du Doghouse qui surplombe le roof, au-dessus de la descente. Cette structure solide a remplacé la traditionnelle capote en Toile lors de la préparation de La Cardinale pour les mers du Sud. Pour l’aventure Antarctique, elle s’est vue habillée d’une fermeture en toile qui en fait une véranda bien abritée pour de multiples activités : lecture ; veille sur tout l’horizon à 360° ; barre grâce au boitier de commande déporté du pilote situé en haut de la descente ; sieste ; contemplation et béatitude ; et bouffardise pour notre fumeur de pipe, espèce résistante et tenace. Quelques étoiles jouent avec les nuages. Nous sommes entre deux systèmes météos et pressentons un changement de temps…
Lundi 11 Mai : au centre du Cercle Bleu, le pâté chinois !!
D Day (un autre). Déconfinement Day. Nous sommes toujours confinés volontaires au milieu de Pacifique. A 100 km (ou 54 Milles) il n’y a rien, et à 1000 km non plus (ou si, Robinson Crusoé, à 800 environ). Jeanne a aperçu les feux d’un cargo il y a deux nuits, sinon Nada !! Pas même la queue d’un poisson …
Yves est avide d’avoir des nouvelles de ce qui se passe en France. Personnellement je ne suis pas pressé. Je me doute que les bouteilles vont sortir et qu’il y aura de belles bouffes entre copains. J’imagine que mes petits fils sont contents de retourner voir leur potes et que cela va être dur pour Félix, 16 mois de retrouver sa nounou (pourtant géniale) après les moments délicieux partagés en continu avec ses frères et ses parents si attentionnés autour de lui. Bon courage à ceux qui ont pris goût à ne plus se rendre au travail.
Le vent a tourné en deuxième partie de nuit et après le petit déjeuner nous nous décidons à manœuvrer en affalant la misaine et en tangonnant le génois en ciseau. Je barre au soleil avec plaisir pendant plus de deux heures, la houle appuyant la hanche de la Cardinale comme la main d’un danseur de tango qui guide sa belle sur la piste. Cela repose le pilote et l’on suit bien les variations du vent. Bernard ramasse un petit calamar de 10 cm de long sur la plage avant. Il a dû être déposé par une vague ce matin. Il ressemble exactement à un leurre bleu blanc et gris que j’utilise sans succès. Le ciel a totalement changé et nous sommes positionnés au centre d’un grand cercle bleu nuancé de quelques filaments nacrés. Tout autour les cumulus tapissent l’horizon sur 360 degrés. Au fil du temps, les filaments changent de forme et se métamorphose : un grand S de cirrocumulus diffus barre le zénith pour former le signe du YIN et du YANG, puis ce sont des cirrostratus bien parallèles comme le dos d’un maquereau. Le grand défilé nous accompagne : laissez-nous donc qu’on le regarde !! A midi, Jeanne nous concocte son fameux pâté chinois (une sorte de hachis Parmentier avec du maïs) dont voici l’histoire. Au Québec dans le district des Laurentides, aujourd’hui Parc National au Nord de Montréal, l’abbé Labeille souhaita à la fin du dix-neuvième siècle que ses paroissiens puissent circuler au sein de cet immense espace pour aller voir les membres de leur famille. Il œuvra pour la construction d’une ligne de chemin de fer. Pour cela comme dans tout le continent Nord-américain, un fort contingent de chinois fût embauché sur le chantier. Les autochtones pensaient que ces petits hommes jaunes appréciaient la nourriture jaune et imaginèrent un plat à base de maïs (pour la couleur et très abondant) afin de nourrir leurs employés. Ce plat devint si célèbre dans la région et au Québec qu’il s’affiche aujourd’hui à la carte des restaurants traditionnels et qu’il y a des concours annuels du meilleur Pâté Chinois. Pour la recette, il vous faudra acheter à sa parution le livre de recette de la Cardinale que les auteurs vous dédicaceront avec plaisir (un combo devrait être proposé avec l’excellent deuxième album de « Boutôvent», sorti en pleine crise corona virale).
A 15H00, je positionne deux lignes respectant la signalisation : un leurre vert à tribord et un rouge (plutôt rose) à bâbord mais le vent baisse et prendre des poissons du large à 3 nœuds de vitesse ce n’est pas gagné. A l’heure du thé, Hervé part en expédition dans le poste avant chercher du vin que Bernard a enfoui sous toutes les caisses de légumes lors de notre dernier avitaillement. Mission réussie et complétée d’une auscultation des fruits et légumes. C’est la fin des bananes, les quelques qui restent sont en train de rendre l’âme. Nous jetons deux pommes bien mâchées et un gros oignon (certains oignons de Chiloé approchent du kilo). La conservation est satisfaisante, car il ne fait pas encore chaud et nous aérons régulièrement en ouvrant le capot situé sous l’annexe, stockée à l’envers sur le pont à l’avant.
Bouillon Thaï ce soir pour purifier les corps et les âmes, le vent se laisse désirer, moins de 10 Nœuds pour La Cardinale c’est une caresse si faible qu’elle a du mal à se réveiller, la belle aime les ardeurs plus musclées…patience….