Saison 5 - Chapitre 6 : Marina Austral 45°09’53,4’’ S - 73°31416,4’’W
Vendredi 3 mai et samedi 4 mai. Une nuit réparatrice et réveil dans la Chaineapeak bay que nous découvrons ce matin au grand jour. C’était à nouveau ‘bonne pioche’. La caleta est charmante, refermée sur elle-même. Les beaux arbres de la forêt primaire qui la ceinturent viennent lécher la surface d’une eau cristalline. La péninsule de Taitao qui referme le golfe de Penas par le nord, donne naissance à une incroyable fragmentation d’îlots qui constituent l’«Archipielago de los Chonos». Nous y sommes et nous abordons avec curiosité ce nouveau paysage plus aimable que ceux des canaux du sud magnifiques et impérieux. Une promenade tranquille qui nous mène, à travers ce dédale enchevêtré, depuis le canal Darwin pour aboutir dans le canal Errazuriz. Nous le traversons pour nous glisser entre la Isla Chureqque et la Isla Chaculay. Un petit paradis. Le soleil brille. Benny est heureux et il le crie haut et fort. J’aime ce pays. Alors l’équipage se met en tête de lui dénicher sur ces rives la maison de ses rêves. Une petite maison en bois au bord de l’eau, la plage, le ponton, un ‘trawler’ mouillé dans la baie. Elle est juste assez grande et avec une cheminée pour accueillir les potes et les amis. Les vrais.
L’Esprit d’Equipe’ que nous n’avons pas revu, mais que l’on sait proche de nous, nous adresse un message pour nous conseiller un stop à Puerto Aguirre, sur l’île Las Huichas. C’est tout près et sur invitation du Capitaine - ses arguments sont convaincants, une vraie marina, douche à terre, wifi et gasoil à 50 m du ponton - nous décidons de nous y rendre. Un petit gymkhana entre la presqu’île La Elisa et Isla Swett jusqu’au pied de la petite ville à flanc de côteaux, pour se présenter bien en face de la Marina Austral. Par 45°09’53,4’’ S et 73°31416,4’’W, nous accostons au grand ponton qui attendait d’évidence la visite de la Cardinale. Toute la durée de notre court séjour, Jaime le capitaine des lieux ne se départira pas de sa bonne humeur et de l’accueil chaleureux qu’il nous témoigne. Autant dire que la ‘mayonnaise’ prend entre lui et Benny. Les deux hommes partagent des amitiés communes, les navigateurs, marins et skippers rencontrés dans le grand sud pour l’un, les mêmes de passage à Puerto Aguirre qui entrainent Jaime dans leurs navigations nourries d’aventures et du grand large. La priorité de ce premier jour est le ravitaillement en gasoil, et le transbordement de 543 litres en bidons à ramener à bord. Tout le monde met la main à la pâte. Sylvie n’est pas en reste, à la manœuvre au palan pour lever les bidons, en la circonstance le winch de pied de mât. Pendant ce temps-là, Benny se charge comme à chaque entrée de port des démarches administratives auprès des autorités. Alors que nous sommes occupés à charger notre précieux butin sur le pont, d’abord un souffle devenu familier attire notre attention, et puis tout à côté de nous, un aileron noir vient précéder la masse ventrue qui émerge de l’eau. Elle glisse tranquillement sur l’onde du canal dans lequel elle s’enfonce à nouveau. Nous sommes tous les yeux rivés sur sa trace que nous suivons aux volutes qui remontent à la surface de l’eau. Aussi loin que possible. Emotion.
Petite échappée du bateau à la découverte de Puerto Aguirre. Le village est constitué de maisons modestes rangées au cordeau, sur des parcelles qui semblent avoir été dessinées sur une trame de tableau Excel, indépendamment d’une topographie contrariante. Des panneaux de métal, à bandes verticales qui imitent grossièrement des planches de bois, habillent durablement les façades. De temps en temps, quelque unes d’entre elles ont conservé des bardeaux de bois comme au temps passé. Les couleurs vives des peintures librement choisies par chacun composent une ambiance chamarrée qui relève d’une atmosphère ‘exotique’, à réchauffer les cœurs. Afin de s’assurer d’un petit réassort, nous rendons visite à l’amalcen’ située au-dessus du petit port de pêche, les bateaux tous aussi colorés que le sont les maisons. La boutique est bien achalandée mais elle est aussi très fréquentée à cette heure tardive. Tout le monde semble s’y être donné rendez-vous, et nos longues hésitations à choisir nos provisions ralentissent sensiblement le service à la clientèle locale. Ce n’est pas grave. Pas d’agacement, des sourires suffisent parce que ici, tout le monde a le temps.
Merci Jaime, et merci à tes amis Diego (médecin), Rocio (infirmière), Pedro (urgentiste) pour cette journée mémorable que nous avons partagée. Vous nous avez racontez le Chili, les chiliens et leur histoire. Les conflits d’une population qui a été déchirée, elle continue encore aujourd’hui à panser ses plaies en quête de réconciliation. Vous nous avez raconté ce que c’était de vivre à Las Huichas. On n’est pas bien riche à Puerto Aguirre. La vie est simple et elle est dure. Les gens semblent accepter le caractère grégaire de leur communauté. Ils y puisent une certaine philosophie de leur existence, conscients que la solidarité des îliens est le meilleur rempart à l’abandon. Merci Jaime pour cette journée de ripaille d’asados*, et d’abondance dans la petite Marina Austral.
*grillades de viandes
Nuit magique
Dimanche 5 mai et Lundi 6 mai.
Livre d’Or de la Marina Austral, étreintes sur le ponton, Jaime nous lance les aussières. Hasta la vista !
D’abord il y a eu ces toasts ininterrompus tout au long de la journée d’hier, et jusqu’ à pas d’heure – ah qu’il est bon le vin chilien – et puis certains d’entre nous qui se sont trouvé de grandes affinités avec les jeunes chiliens, qui les leur ont bien rendues. Sous influence, et très excités de se laisser aller à une petite expérience en ‘terre inconnue’ - où il est question de boîte d’allumettes - qu’en d’autres temps nous appelions pour le moins « psychédélique ». Petits jeux de grands, trop drôles et sans dégâts mais il n’en est pas moins vrai que ce matin, une partie de l’équipage a la tête dans le C…Le pacte de bonne camaraderie m’oblige ici à taire les noms. En route pour Chiloé et au programme une navigation de nuit permettra sans aucun doute à ceux-là de récupérer leur ‘assiette’.
Du canal Ferronave, nous rejoignons le grand canal Moradela qui nous emmène tout au tout de la journée jusqu’à la « Boca del Gualfo », porte sur l’Océan Pacifique à traverser avant de mettre le bout de l’étrave de la Cardinale dans le Golfo de Corcovado. Le golfe est le dernier bras de mer à franchir du sud au nord pour atteindre Puerto Montt. La nuit est radieuse. Là-haut au-dessus du grand mât et de nos têtes la Croix du Sud veille, là-bas vers l’Est au-dessus des montagnes Vénus brille de mille feux, en prime les étoiles filantes se sont données le mot pour nous divertir à la timonerie. A l’aube, nous abordons la passe Sud qui nous amène à Quellon. Nous pouvons voir très distinctement les monts prestigieux de la Cordillère qui s’élèvent tous à plus de 2000m, el volcano Corcorado, los Montes Yanteles, el volcano Michinmahuida. Benny nous avouera un peu plus tard qu’il avait choisi Quellon comme point d’atterrissage sur Chiloé, pour l’intérêt que représentait pour lui le chenal d’entrée ( ! ). Grande sinusoïde pavée de hauts fonds qui ouvre sur la large baie de laquelle on s’échappe vers l’est par le canal Chiguao. Après ces dernières semaines de ‘vie sauvage’, en effet la surprise est grande pour nous tous d’être ainsi mis en face d’une autre réalité pour le moins provocante. L’activité de Quellon, port de pêche important de la région, est principalement tournée vers la mer. Rien dans nos guides et information du bord ne nous portait à nous intéresser plus particulièrement à cette cité, mais curieux que nous sommes d’en savoir un peu plus, nous passerons un joli moment tous ensemble à la découverte de la ville. Une escale idéale après notre navigation un peu longuette depuis la Marina Austral, mais sans difficulté particulière. Nous nous intéressons aux mouvements des bateaux dans le port, promenade en ville, déjeuner sympathique - sinon gastronomique - dans une auberge du centre-ville. Retour à bord de la Cardinale pour une sieste sur le pont ensoleillé, distraits par les vols planants des pélikans de Chiloé, et leurs plongeons incisifs. Que demander de plus qui ne suffise à notre bonheur.
Bon anniversaire Sylvie
Mardi 7 mai, mercredi 8 mai. Nous prolongeons notre navigation le long de Chiloé, la plus grande île d’Amérique du Sud, après la Grande Ile de la Terre de Feu que se partage Chili et Argentine. C’est maintenant un grand paysage ‘pastoral’ qui se dévoile à nos yeux. Les collines et leurs pentes douces déversent forêts et pairies sur le rivage. Elles composent une campagne bocagère et paisible. Les hommes et les animaux occupent généreusement ce territoire de façon désordonnée, selon le mitage émancipé des maisons et des fermes d’élevage qui nous renseignent sur leur présence.
Après avoir contournés la Isla Tranqui, nous laissons derrière nous le Canal Queilen et son épais brouillard. La Cardinale s’engage dans l’Estéro Pailad. Une navigation débonnaire qui nous renvoie à nos meilleurs souvenirs de rias anglaises et autres rivières de Bretagne.
Mercredi est un grand jour. Rendez-vous pris hier soir, nous nous retrouvons à la première heure dans la petite « Escuela Rural Paildad », de la Communa de Queilen. Notre Capitaine, aventurier du grand sud présente aux dix jeunes enfants de la classe unique, un exposé sur les voyages de la Cardinale en ‘Antartida’. Succès, bonheur et applaudissements du jeune public pour récompense, et notre plaisir d’une rencontre inopinée. Nous reprenons très vite notre progression vers le nord en poursuivant le ballet ininterrompu de la Cardinale à travers le chapelet d’îles qui émaille le littoral. Nous avons en effet ce soir un rendez-vous de fête à Castro. Au fond de la rade, face à la plage de Pedro Montt, et le quartier des palafitos - maisons sur pilotis - nous mouillons entre Pinocchio sur laquelle voyage la petite famille québecoise et la Mutine, joli plan Herbulot, un Beaufort des 70’. ‘Fondeamos el sacho’. Et sans plus attendre, c’est Champagne - chilien - pour célébrer à son tour et avec grand cœur la benjamine de l’expédition. « Bon anniversaire Sylvie ». Sylvie qui souffle avec conviction les deux bougies du bord posées délicatement sur le joli gâteau aux pommes – intention délicate de Pidou - pour fêter ce soir avec ses amis, une année de plus que l’année dernière. Mise en bouche, et préalable d’une soirée débridée dans l’ambiance chaleureuse et musicale branchée du Barra Cervecera, accrochée sur la colline de Castro.
Xavier Fraud