Saison 6 - Episode 11 : La grande houle
Lundi 27 avril 2020, après déjeuner, nous sommes concentrés pour écouter les consignes de sécurité rappelées par le Pitaine. D’abord, une révision de la bonne mise en route du moteur qui doit pouvoir être une action réflexe bien intégrée par chacun. De même pour les harnais de sauvetage, leurs longes et les balises en bon fonctionnement. La consigne de les porter systématiquement la nuit pendant les quarts. La balise à déclencher rapidement si besoin. Le point Mob.
On est prêt. Départ juste après déjeuner. Nous devrons remonter vers le Nord pour être portés par le courant de Humbold et gagner les zones de vents portant plus vers l’ouest. Et peut-être toucher l’île Juan Fernandez à 360 Milles de là.
La grande houle du Pacifique nous balade. La mer est hachée. Nous sommes au près. Tout est gris. Tout est dit. La première nuit sera fatigante et les estomacs qui résistent se rendent… Plus de la moitié de l’équipage en fera les frais.
De plus, chacun y va d’une toute petite toux d’irritation, « j’ai un chat dans la gorge ! » trahissant la pensée que le virus qui confine est bien présent dans nos esprits et que, d’un commun accord, nous sommes partis confiants dans le certificat de santé de l’Armada, dans notre vigilance et nos belles résistances physiques.
A moment où j’écris, nous avons atteint le quatorzième jour qui nous délivre de ce doute. Cependant, nous y pensons et grâce aux mails, nous lisons avec attention et intérêt tout ce qui se passe chez nous et dans le monde. Merci à Patricia qui nous en informe très fréquemment. Croyez bien, les Amis que si notre solidarité semble distante par l’aventure maritime qui nous mène, elle n’en est pas moins vive et nous retient chacun près de vous tous. Les quarts de nuit s’installent avec une complaisance partagée à faire ce qui va bien.
Tout le monde est ok. On fera à deux un temps de 3 heures. Le calcul se complique si on se rappelle que nous sommes 5 mais Francis a affiché un tableau que chacun approuve. Alors, on y va ! Et quand, pour la troisième nuit, les garçons proposent à Jeanne d’être hors quart, elle les bénit de bon cœur en filant tout droit dans sa bannette retrouver la position allongée qui va bien.
Le vent faiblit mais le soleil est là, La Cardinale sous voiles gagne très doucement vers le Nord, puis l’Ouest puis le Nord. Alain, de la précieuse équipe à terre propose de nous router plus finement pour éviter les zones de pétole. Et là, en voilà une vraie. Pauvre Cardinale qui n’est plus qu’un jouet des flots. (Elle n’aime pas être ainsi traitée.) Ballotée, malmenée, elle grince de toutes ses articulations malgré les retenues, les écoutes fines, les tentatives de la ramener dans le vent… Y EN PAS ! Y EN A PAS ! On roule le génois, on descend la Grand’voile et la Misaine et on met le moteur.
Il reste environ 3600 Milles à parcourir rappelez-vous… Il va donc falloir ménager le moteur, rivaliser d’astuces avec le vent et les nuages, les fichiers Zygrib, s’armer de patience, d’ingéniosité pour s’occuper, de bon sens optimiste et …
Mais voilà que Francis a pêché un thon, là, maintenant, au coucher du soleil ! Bondissant il est ! Le thon ou Francis ? Le grand couteau, la lampe au front, les gestes précis d’un pro et l’aide de Yves qui éclaire et qui rince et qui rince. Voilà le thon tué respectueusement, remercié pour sa gratitude et son sacrifice.
Le soleil en a profité pour aller se coucher complètement. Il fait nuit. Un tartare de thon (plus frais, on n’a pas en magasin !) nous sera offert en apéritif gourmet et généreux et que dire, tellement, tellement apprécié… Merci, Merci, Merci ! Dix jours dans la grande houle, « confinés à bord », nous prenons la mesure du temps qui passe, de la distance à courir, de cette expérience unique qui nous est donnée de vivre.
Le rythme marqué par la lumière du jour, celle de la nuit quand la lune est là, le rythme des repas qu’on déguste avec un appétit gourmand et reconnaissant : oui, la Cardinale a des étoiles certifiées dans le guide des Routards océaniques et ce soir, The Cook, paré de son tablier mythique nous servira à l’assiette un thon Tiiriakis qu’il me suffit d’écrire pour que mes papilles s’en agitent encore de contentement. Cette recette donnée par Tim sera publiée dans Le Livre des Recettes de La Cardinale que Francis écrit pour la postérité et pour le plaisir. L’île Juan Fernandez apparaît sous les nuages. Serons-nous autorisés à y faire escale ?
La Plume qui vous embrasse