Saison 6 - Journal de bord du Cook 4 : 12 au 17 mai

Mardi 12 Mai : Calmes = BB (Baignade-Bricolage)

Je prends mon quart à 6h00 derrière Yves, nous marchons bien à plus de 5 Nœuds,  Cap un peu au-dessus de la route. Cela ne dure pas, Yves à peine endormi, le vent baisse entre 4 et 6 Nœuds en venant plus de l’arrière, je remonte vers le Nord mais nous sommes ballotés par la houle et la vitesse n’est plus qu’un souvenir. Le jour se lève plus tard déjà, après 7H30. A 9H30 le soleil a pris la place du vent. Nous sommes encalminés avec moins de nœud de vent. C’est un bon moment pour se laver en se baignant derrière le bateau et en se rinçant ensuite à la douchette sur la plage arrière. Jeanne et moi se livrons à cet exercice délectable. Il faut sortir casquette et lunettes de soleil. Je commence à confectionner un rangement vertical pour les trois grands  couteaux du bord avec des chutes de plexiglas. Cela me prend un bon moment pour découper toutes les petites pièces. Pendant ce temps Bernard répare le rail du vit de mulet du mât de misaine, la pièce qui lie la bôme au mât. Elle travaille dur, surtout dans la houle et les petits airs et a pris du jeu. Nous changeons les vis de fixation en retaraudant pour passer à un diamètre supérieur. A midi tout est terminé et on sera plus tranquille à voir la bôme se balader même si l’on met systématiquement une retenue, y compris  au près. La section des espars sur La Cardinale  est impressionnante et les efforts qui en découlent ne le sont pas moins.  Déjeuner en terrasse au soleil…on se croirait déconfinés de notre intérieur et pour nous le bar reste ouvert. Les teintes de l’eau aux alentours de l’ombre du grand mât sont fantastiques, des vrilles d’un bleu lumineux portées par le soleil plongent vers le bleu sombre du grand océan qui ici descend  à  plus de 4000M de profondeur.  Vu le calme et le début de chaleur, la sieste est de rigueur jusqu’à ce qu’un nuage ébroue La Cardinale et que l’on se précipite pour dérouler le génois et régler les écoutes. Cela durera vingt minutes tout au plus et le calme reprend sa place. Nous roulons un peu au moteur car sans vent et sans vitesse, les batteries 24V  se déchargent rapidement (cf Chronique sur la technique). J’en profite pour réaliser les collages de mon râtelier à couteaux, puis de le fixer au-dessus du plan de travail. Le montage est prévu pour les mouvements de la mer et les trois grands couteaux, au lieu de brinqueballer dans le grand tiroir à couverts,  seront bien calés et resteront  aiguisés.  Le vent est léger mais nous permet d’avancer doucement face au coucher du soleil. Soudain deux petits thons nous escortent à tribord pendant au moins 20 minutes, comme des dauphins.  Les lignes sont 100 mètres derrière le bateau et ils viennent nous narguer au bord, ce n’est pas ce soir que l’on mangera de nouveau du poisson frais. Nous nous faisons la réflexion de ne pas avoir vu une trace d’avion depuis presque deux mois dans le ciel…effet collatéral du coronavirus…le vent rechute avec le soir, cela annonce une deuxième nuit de pétole.

Mercredi 13 Mai : Le grand bleu

Comme prévue, à part de rares moments, la pétole a régné cette nuit. J’étais hors quart mais régulièrement réveillé par le claquement des voiles, un empannage ou un coup de groupe électrogène vers 5H. La nuit fût pourtant douce dans la bannette et à 8H00, je me lève tranquille. Yves est encore de quart mais devant sa mine dépitée par le manque de vent je lui propose d’aller se recoucher. Je pose la ligne (on ne sait jamais) et je barre en admirant le chatoiement du soleil qui se lève entre deux bandes de nuages. Bientôt les nuages glissent de côté sur l’horizon et nous sommes dans le grand bleu, au-dessus comme en dessous. Bernard et moi tombons les T shirts  pour une première séance de bronzette à la barre. C’est jour de grande lessive pour Jeanne et Yves et les filières sont remplies et multicolores. Nous en profitons pour ranger les affaires de froid et je redonne à Bene le caleçon et le haut en polaire que je n’aurai finalement jamais porté. Notre interrogation du moment est la recharge des batteries car même en barrant pour économiser le pilote, nous n’allons pas assez vite pour couvrir les besoins du frigo et de l’électronique. Il faut donc régulièrement faire tourner soit le groupe soit le moteur. Pierre en tant que très bon  tacticien de plan d’eau m’envoie régulièrement des mails avec des conseils de route, mais le terrain de jeu n’est pas la baie de Quiberon et prendre des options sur des grandes distances n’est pas simple. Je suis plutôt convaincu par ses choix, qui corroborent ceux d’Alain et j’arrive à convaincre Bernard de monter un peu Nord pour sortir da zone de vent très faibles. Nous nous relayons à la barre après déjeuner dans un vent entre 5 et 7 Nœuds, ce qui permet un peu d’avancer. Je ne tente pas  de cuisine sophistiquée en ce moment même si je m’astreins à constamment  varier les menus.  Je crois que j’attends les prochains poissons pour me lâcher…En attendant nous dégelons et nettoyons le frigo.  C’est un réfrigérateur  type chambre froide industrielle avec un gros compresseur assez bruyant dans la cale moteur, trois portes de 10 cm d’épaisseur et  des plaques à l’intérieur  sur le côté droit qui génèrent le froid. Nous nous en servons à moitié comme congélateur en collant les paquets de  viande sous vide contre les plaques. Mais au bout d’un moment le tout gèle de plus en plus et il faut nettoyer celles-ci  car le frigo consomme plus au fur et à mesure qu’elles  se couvrent de glace. Comme les températures remontent, le phénomène a tendance à  s’amplifier. Je laisse Jeanne opérer : c’est notre spécialiste sur le sujet.

La » Corona newsletter »  de Patricia que l’on reçoit tous les deux jours, lue au moment de l’apéro laisse à penser qu’à certains endroits les gens se  déconfinent sans précautions, ce qui augure d’une gestion compliquée de la suite de la Pandémie.

Mon quart de 21H00 à Minuit est jouissif. Fini les bottes et cirés, pantalon léger, T shirt et petit coupe-vent suffisent, pieds nus à la barre. Le ciel est d’un noir profond, traversée par la voie lactée et saturé d’étoiles même au plus bas sur l’horizon.  La CRUZ del SUR (Croix du Sud) me fait une auréole juste derrière et quand je me retourne elle me dit en clignant d’une étoile : tu vois, voilà le Grand Sud. Le sillage est très légèrement phosphorescent de plancton. Je barre trois heures avec bonheur, les nuits de grand beau temps sur le Challenger Scout familial remontent dans ma mémoire. A l’époque, pas d’instruments pour indiquer le vent. Juste les joues  et les oreilles qui ressentent la force et la direction, les fesses et le bassin qui décryptent les mouvements de la mer et les yeux qui suivent le balancement des étoiles à travers le gréement.  Notre corps est bardé de capteurs précis qu’il suffit de laisser parler encore et encore pour que le feed-back devienne naturel. On se surprend alors à barrer les yeux fermés sans pratiquement  dévier du cap. La Cardinale est équipée d’écrans multifonctions dernier cri sur lesquels on peut afficher à peu près tout ce qu’on veut, avec l’agencement d’affichage que l’on veut et les couleurs que l’on choisit. Un mix entre un tableau de bord de berline haut de gamme et un jeu vidéo. C’est impitoyablement précis mais lorsque l’on barre longtemps comme nous avons décidé cette nuit, c’est bien notre corps et notre sens marin qui fait la différence sur le toucher de barre et la capacité à faire vivre le bateau.

Jeudi 14 mai : Vent arrière

6H30. Hervé fait son apprentissage à la barre sur La Cardinale. Le vent est à peu près stable en force, moins en direction et il essaie de tracer une route de plus en plus rectiligne au fil du temps. Contrairement au reste de l’équipage, il n’a pas eu la chance plus jeune  d’aiguiser ses capteurs sur les bancs d’un dériveur, une planche à voile ou un tout petit croiseur. La prise en main de la Goélette n’est que plus délicate et il s’en sort bien. Une saute de vent le surprend cependant à 8H00 et nous nous retrouvons voiles à contre, les bômes tendues à fond sur les retenues. Yves et moi sautons des bannettes pour l’aider à remettre le bateau sur la bonne amure. A 9H00 le ciel nous gratifie d’une superbe « Gloire ». Cet effet de lumière, très prisée des peintres de la renaissance sur les tableaux d’inspiration biblique ou mythologique est spectaculaire. Lorsqu’on l’admire dans un musée, ces rais de lumière jaillissant des nuages et renforçant la connotation divine, on pense que l’auteur exagère le trait. Il n’en est rien et les peintres, grands observateurs de la nature savaient les restituer avec force réalité. 10H30 : à la lecture des derniers fichiers météo nous décidons de mettre cap à l’ouest, voiles en ciseaux. C’est un pari mais la vision à 3 jours est bonne, on espère juste de ne pas se reprendre une bulle de vents faibles après, ce qui est malheureusement annoncé. Le bateau est stable et c’est agréable de barrer avec le génois tangonné et la grand-voile (nous descendons la misaine à cette allure). Cela roule mais raisonnablement à part quelques embardées ou l’on entend des bouteilles s’entrechoquer, cela prouve qu’il en reste !! Après déjeuner nous envoyons même la petite trinquette en ciseau juste derrière la génois, C’est peu mais on gagne presque 1/2 nœud, et sur plusieurs jours d’affilée, cela compte. Chacun se relaie à la barre, l’exercice n’est pas facile mais plaisant au portant avec un vent doux qui rafraichit juste comme il faut. Comme nous avons fait une super journée en distance, nous nous offrons un succulent filet de bœuf ce soir, avec des petites pommes de terre sautées et des champignons  ail et persil. Le service à l’assiette tient du jonglage mais le pilote est assez stable pour que nous puissions dîner sans tenir les verres à la main, en suivant scrupuleusement l’ordonnance du Dr Boennec, grand chambellan de La Cardinale.  Ce jour, j’ai définitivement abandonné le surnom dont j’étais affublé depuis la transat : Ze Fishing Cook. « Fishing » ne fait plus partie du vocabulaire depuis trop de milles pour que je daigne l’utiliser. Le Cook reste en fonction, fidèle au poste et régale en continu l’équipage…il relève ses lignes pour la nuit avec consigne pour le quart de 6H00 de les reposer au lever du soleil.

CROSS THE FINGERS !

Vendredi 15 Mai : Changement d’Heure

La nuit a été changeante avec quelques périodes de vent en dessous de 10 Nœuds. Barrer au vent arrière sans voir les voiles ni de repères dans la nuit noire (pas de lune ni d’étoiles) n’est pas chose aisée et il y a bien eu quelques passages à contre sur la fausse panne (NDA pour les béotiens : passage du vent arrière tribord  amure au vent arrière bâbord amure (ou l’inverse)  sans le faire exprès et sans changer les voiles de côté ; la bôme est alors juste bridée par sa retenue et non par son écoute, il faut vite rechanger pour la bonne amure). Dans l’ensemble nous avons bien avancé et Hervé, hors quart a même pris une douche un peu avant minuit. Les lignes sont à poste, la houle tend la plus longue sur bâbord au fil des vagues mais c’est juste la houle…Nous avons droit à quelques gouttes rafraichissantes en fin de matinée. A 13H00, nous décidons de changer d’heure pour être plus conforme à notre méridien. Tous les appareils du bord sont recalés sur 12H00…ça s’arrose !! 

Depuis deux jours tournent de temps en temps en grands cercles autour de nous  deux  sternes communs, oiseaux très fins tout blanc avec la moitié du haut de la tête toute noire. Leur plume de derrière est allongée et ils poussent de petits cris.  « Quand oiseau paille en queue c’ier fo’t là haut, beau temps ». Jeanne avait recueilli cette expression à la Guadeloupe auprès d’une vieille vendeuse de boudins et d’accra du marché de Port aux Marins. Effectivement il fait beau, Hervé fait la boulange torse nue sur le plan de travail dans la cuisine à l’intérieur. Ensuite, il continue son apprentissage  de barre sous l’œil vigilant du professeur Yves. Le vent n’est pas pour lui faciliter la tâche car il tombe à presque à 7 Nœuds et la houle, toujours un peu croisée balance La Cardinale d’un bord sur l’autre. Comme il s’en sort, il trouvera cela plus cool par 15 Nœuds de vent.

 Nous profitons du coucher du soleil en short et T-shirt, douceur pacifique au sein de cette immensité qui nous est offerte. Pas un bateau, pas un avion. Mer et ciel vierges. Ici, le mariage de la mer et du vent se perd dans la nuit de la terre aux origines de la planète. Cette nature sauvage nous tolère, elle est trop belle pour nous qui avons une vive pensée pour le 8ème continent lorsqu’Hervé ramasse un bout de plastique au bout de la ligne de pêche tribord….Quelle Tristesse ….Un bon Gin Tonic est notre antidote à l’évocation de ce désastre écologique, accompagné d’un petit féroce d’Avocat que chacun tartine sur le bon pain grillé du Sec. Ces avocats ne méritent pas plus que d’être écrasés. Nous nous sommes avoir en les achetant à Puerto Montt dans la rue. D’habitude les « paltas » chiliens sont excellents. En antarctique nous en dégustions en entrée   presque deux mois après l’avitaillement.  Là, ils restent durs comme du bois autour du noyau et forment une bouillie noirâtre sous la peau. J’arrive juste à extraire quelques parties de certains pour nos apéros (Recette dans le livre), les autres passent par-dessus bord. Vu le vent faible, nous décidons de faire des quarts de barre de deux heures chacun  pour rester concentré et éviter quelques « contres » due à la fatigue, nécessitant de donner un petit coup de moteur pour se remettre dans le sens de la marche.

Samedi 16 Mai : le capitaine se baigne !!

7H00 : le vent est tombé, nous démarrons le moteur pour recharger les batteries, faire de l’eau et avancer le cas échéant. Nous avons mesuré que le rapport gasoil/ production d’ampères et d’eau est meilleure avec le moteur qu’avec le groupe. Le changement des 4 injecteurs à Puerto Montt a certainement permis de diminuer la consommation. Si cela permet en plus de faire un peu de chemin dans le bon sens pendant une heure, on ne s’en prive pas. Matinée lessive et cuisine pour moi. Les légumes commencent à se fatiguer et je préfère préparer à l’avance des fricassées que je stocke de côté au frigo. Et puis le grand beau temps est idéal pour le séchage sur les filières. Il est aussi synonyme de baignade et je suis le premier dans l’eau pour assister à un événement : le premier bain de mer  du capitaine depuis deux ans !!! Il faut dire que l’eau froide n’est pas sa tasse de thé et il a fallu passer 90 degrés de longitude  ouest pour que psychologiquement il tente l’exploit. Jeanne et moi trouvons l’eau excellente et l’estimons à 21-22°. Nous nous laissons tirer tous les trois par le bout tendu en boucle à la poupe. Le vent reprend un peu  mais après déjeuner, au soleil, il nous abandonne totalement. C’était prévu. Le thermomètre sous le Doghouse indique 27 degrés et chacun ralentit le rythme.16H00 re baignade, cette fois on peut faire le tour du bateau et plonger du balcon avant. Yves et Hervé décline l’invitation et le capitaine surveille La Cardinale qui commence à faire des tours sur elle-même portée par une houle valseuse. Heureusement que j’ai remonté les lignes avant de plonger. Il faut dire que j’ai en mémoire une certaine  baignade en fin de journée pendant la transat, en plein Pot au noir. Le bateau avait reculé, les lignes s’étaient emmêlées dans la quille, l’hélice et le safran, s’accrochant aux multiples anodes (il y en treize en tout,   réparties  sur  les œuvres vives). J’avais du plonger avec un masque mais sans palmes pour tout démêler. Après près de 15 mn de plongées successives dans une houle de 3m, j’avais fini par renoncer en coupant au poignard les derniers morceaux, d’autant plus que j’avais vu une barre de butée du safran (qui limite le débattement du gouvernail de chaque côté) me passer au ras du crâne. Il faut être très prudent  pour se baigner  dans ces conditions de mer car si l’on est trop près de la coque, on peut facilement se prendre un coup de bouchain quand La Cardinale redescend la vague. Nous sommes à peine secs que le Sec aperçoit cinq six ailerons à 500m par bâbord. Nous avons du mal à les identifier, des grands dauphins ou  des petits  globicéphales, ils s’éloignent de notre route puis jaillissent et retombent dans l’eau sur le dos, dommage qu’ils soient si distants. 

La nuit pendant les heures de barre, Jeanne et moi, chacun notre tour car nos quarts se suivent, répétons nos chansons. Comme nous oublions des paroles, l’idée m’est venue de positionner une tablette au niveau des instruments devant la colonne de barre. Bernard me précise que l’on peut afficher des documents sur l’écran principal de navigation : trop fort. Nous nous escrimons dès lors avec Hervé à essayer d’afficher le fichier au format PDF du livret de chansons du bord que j’avais préparé avant le départ du CAP VERT.  Toute notre imagination d’anciens informaticiens s’y essaie sans succès. Carte SD, tentative s de connexions Bluetooth, WIFI, … rien n’y fait. Tant pis on fera avec la version papier, mais j’ai plein d’autres textes à apprendre que je n’ai que sur mon ordinateur…dommage.  Nous maîtrisons quasiment « le peuple irlandais » sans accroc. Une de plus à entonner avec les copains de STEREDENN VOR  quand les bars rouvriront à la Turballe (chez Nanou  et Dominique au Cap 270°,  Barbara et Fred au café du Port) ou à Batz sur Mer (chez Peggy au Bar de la Tour). Ce soir, petit couscous avec une sauce piquante maison élaborée non pas avec de l’harissa mais avec du Merquen « muy piquante », ça chauffe et c’est délicieux. La bascule de vent a eu lieu et nous sommes au près et pouvons reprendre notre rythme de quart habituel.

Dimanche 17 Mai : Route Directe

0H15. Le moteur vrombit et me réveille. Hervé nous a fait un beau virement à contre pour son début de quart. Yves s’est levé et ils feront deux tours complets avant de reprendre le cap. Qui va préparer l’apéro du Dimanche ?? Machinalement je pose les lignes à 7H00 après une heure de barre en chansons. J’ai récupéré un cahier de chants de marins dans la table à cartes et je révise. Le vent est sympa avec nous, nous faisons presque la route avec 15 nœuds de NW et la météo annonce une bascule dans la soirée. Elle sera plus rapide que prévue et vers 15H00 nous quittons le mode T-shirt crème solaire pour le mode bottes –cirés –manœuvres sous la pluie… cela faisait longtemps. Mais ce n’est pas pour nous déplaire de débouler au travers par 22-25 Nœuds de vent, à fond sous un ciel gris et bas, qui marque l’avant du front. Par contre, ça brasse à l’intérieur et je vais devoir revoir mes ambitions en cuisine. Jeanne est à son aise, comme dans le Drake, elle chante la face au vent sous les embruns bien protégée dans son ciré hauturier. C’est une heure et une ambiance qu’elle affectionne avant de prendre son thé que je lui prépare avec des petits gâteaux. 

Ce matin, quand c’était encore calme, j’ai travaillé sur le livre de cuisine en incluant une recette délicieuse de Sopaipillas, ces savoureux beignets que l’on sert avant le Curanto. Jeanne a récupéré la recette familiale de Mamadela à Tenglo où nous allions souvent déjeuner le Dimanche pendant nos travaux sur La Cardinale. J’avais prévu d’essayer d’en faire ce soir mais avec les secousses dans cette mer, la friture est plus que déconseillée. Ce n’est que partie remise. La contrepartie est que nous avançons comme des avions. J’enfile mon ciré et rentre les lignes à la tombée du jour. No comment…Prendre un thon à cette heure entre chien et loup, le vider et le préparer  avec les embardées me parait délicat. Que dirait les mousses et matelots, trancheurs, décolleurs qui préparaient les filets des morues tout justes pêchées sur les bancs de terre neuve ?? La vraie » troisième race « ce sont eux.

Francis le Cook