Saison 6 - Journal de bord du Cook 7 : 5 au 13 Juin
Vendredi 5 juin : Poissons du large
Hier soir en remontant la ligne, il ne restait plus ni leurre ni pendant qui avaient été une fois de plus emportés par un beau poisson du large. Ce matin, au lever du soleil j’ai donc monté un gros leurre fait d’une forte cuillère plombée (15 cm) et d’un hameçon très recourbé. Nous étions passés en mode pêche au gros avec nos deux leurres les plus imposants. Mais pour ce type de pêche, il faut tabler sur du matos de pro et après le repas, Hervé a relevé la ligne avec le pendant d’acier coupé net, comme avec une pince. Les occupants des lieux ne rigolent pas et il va falloir qu’on s’approche des îles pour essayer de prendre une bestiole d’une taille raisonnable. En attendant, on avance toujours bien et je prends un peu d’avance en cuisine malgré les grands coups de rappel. Les légumes ont pris un coup de chaud et je fais de la ratatouille d’avance. Les avocats sont aussi en train de nous lâcher, je me réserve pour un féroce demain. Depuis plusieurs jours, le pilote fait de plus en plus de bruit sous la couchette arrière de Bernard et Jeanne et cette nuit. Yves n’a pas barré durant son quart et Hervé ne s’y risque pas. J’ai barré trois heures le matin, en pensant que cela aiderait Jeanne et Bernard à essayer de dormir. En fait c’est la pièce de support du vérin qui bouge en appuyant sur une cloison qui grince fortement. Avec 850 Kg de poussée le vérin ne fait pas semblant quand il faut ramener la Cardinale au Cap dans la mer croisée. Nous décidons d’intervenir et Bernard et Hervé sortent matelas et planchers, l’opération est rodée. La pièce est renforcée avec de la tige filetée reprise directement sur une varangue. L’idéal sera de refaire une gosse pièce en inox boulonnée sur deux varangues mais en attendant cela ne bouge plus et le bruit a quasiment disparu. Nous en profitons pour contrôler le secteur de barre dont on avait éliminé le jeu au mouillage à l’ile de Pâques : rien n’a bougé et tout ce que nous avions changé à Puerto Montt (drosses, poulies, boulons, …) est nickel. Nous sommes plus rassurés car cela tire fort sur tout le système dans ces conditions de vent et de mer. Pour nous venger de ne pas avoir vu les îles et arroser le passage des 1000 milles avant Tahiti, nous nous offrons un menu des îles : cocktail bananes, boudins antillais, puis rougail saucisses !! Ça chauffe dans le carré et dans les gosiers. Il fait très doux dehors et après dîner nous nous offrons un petit moment chansons sous un ciel plombé. Il faut que l’on répète car Bernard a reçu un mail du subrécargue de la section des « frères de la côte » à Papeete et nous sommes conviés à une soirée dès que nous serons disponibles. La confrérie des frères de la côte est répartie dans pas mal de pays, et vise à partager entre marin l’amour de la mer et des bateaux. Bernard en est évidemment membre, il n’y a que des hommes et chacun a un nom de frère, Ben est « le Chat Noir ». Il avait pris contact pour notre arrivée. Comme il veut que l’on fasse bonne figure et défende notre réputation de chanteurs, nous devons affiner un petit répertoire. Il reste encore un peu plus de 900 milles pour être au point. Cela sera plus simple dans deux jours quand le vent baissera et la mer aussi, je l’espère, car je ne veux pas sortir la guitare à cause des vagues qui viennent de temps à temps claquer sur le flanc tribord et asperger le cockpit. A suivre donc pour notre préparation !!!
Samedi 6 juin : Poisson du Large (en vrai)
Le gris est de retour, cela faisait longtemps, il nous gratifie de toutes ses teintes et de toutes les formes de nuages mélangés, lourds cumulus chargés de pluie, cirro-cumulus serrés, cirrus en bandes au-dessus de tour le monde. Il fait déjà 33° C dans le carré à 9H00 et la cuisson du pain lancée par Hervé transforme le coin cuisine en étuve. Quelques passages pluvieux mouillent le teck du cockpit mais ne sont pas assez drus pour offrir une douche. Dommage car la confection de la salade de pommes de terre de ce midi m’a donné un sérieux coup de chaud. Les fichiers Grib sont en dessous de la vérité aujourd’hui et nous avons au moins 5 nœuds de vent en plus en permanence. Avec toujours 3 ris dans la grand- voile, nous adaptons la taille du génois en permanence et le réduisons un peu pour déjeuner plus à l’aise. C’est toujours la mer, croisée qui sollicite La Cardinale et nos corps pour rattraper les brusques coups de gîte. Je commence à m’offrir une petite sieste quand Hervé appelle très fort de l’extérieur : ça mord !! Il ne peut pas relever la grosse ligne, j’enfile une paire de gants de manœuvre et arrive à reprendre un peu de celle-ci dans le creux des vagues mais n’arrive pas à la tenir dans les hauts lorsque nous apercevons un gros sillage blanc au loin. Jeanne et Yves remontent à toute vitesse la deuxième ligne qui est passée au-dessus de la première. Puis, nous arrivons à repasser un bout de la ligne sur le petit winch tribord. A deux, moi reprenant le mou quand je peux et Yves moulinant et bloquant sur le Winch, nous rapprochons la bête petit à petit. C’est un superbe espadon qui par moment sort de l’eau et d’autres moments plonge depuis la vague. Nous l’amenons à une trentaine de mètres, Jeanne mitraille avec son appareil. Il est impressionnant, sûrement pas loin de deux mètres avec le rostre on commence à se demander comment nous allons le remonter à bord. La ligne étant engagée entre les deux pataras, il n’est plus question maintenant, en prise sur le winch de la ramener sur le côté. Hervé et moi allons enfiler nos bottes et on laisse le poisson se fatiguer mais il ne semble pas perdre de l’énergie car il zigzague de droite à gauche. Nous continuons à la ramener doucement jusqu’à moins 10 m de l’arrière quand il se décroche. La tension était telle que le gros hameçon s’est tordu ce qui lui a permis de se libérer. Tant mieux pour lui. Personnellement je ne suis pas déçu comme lorsque l’on a décroché les thons. Cet espadon était magnifique, un racer de haute mer qui vit en symbiose avec l’océan. Nous n’étions pas rassurés pour le hisser à bord avec une plage arrière encombrée et une bête de plus de 50 kg qui bat le pont de sa queue, ses nageoires et son rostre. Et puis nous n’aurions pas pu tout consommer. J’ai le profond sentiment, partagé avec Jeanne et Yves que c’est bien mieux ainsi. Pas découragé, je redonne sa forme à l’hameçon grâce à l’étau de l’atelier et nous remettons les lignes à l’eau. Pas pour longtemps, le vent commence à monter pendant que j’ai mis en cuisson la soupe du soir. Il reste établi à plus de 30 nœuds, puis ça grimpe. Nous roulons le génois, mettons la petite trinquette et finalement affalons la grand-voile dans des rafales à plus de 40 nœuds et une mer qui se creuse et déferle un peu plus. C’est plus confortable et nous renonçons à la pêche dans ces conditions en remontant les deux lignes. Au largue la trinquette ne donne pas son meilleur rendement et avant la nuit nous la roulons et remettons une partie du génois ce qui nous permet de tenir une vitesse de 5 nœuds. Manger la soupe courgettes à l’ail froide avec ses petits croûtons est plus qu’acrobatique, il nous faudrait des bols à cardan….Nous ne tentons même pas un 5000, on risque de casser les dés !!
Dimanche 7 Juin : Pluie et Soleil
C’est Dimanche et cela sent la grasse matinée. Je prépare le petit déjeuner avec Hervé car nous voyons une ligne de gros nuages gris foncé arriver sur nous au milieu du gris uniforme et nous souhaitons en profiter pour une bonne douche. C’est revigorant à l’extrême et nous restons longtemps sous la pluie pendant que Jeanne, Bernard et Yves prennent leur petit déjeuner. J’ai remis les lignes mais avec des appâts plus petits. Je ne sais pas si ce temps gris et pluvieux convient à la pêche. Nous reparlons de notre espadon d’hier, Jeanne l’estimant à près de trois mètres. Difficile de se rendre compte sur les photos ou les petites vidéos, je penche plutôt pour une taille d’environ deux mètres et 50 kg minimum et réfléchis à une manière d’arriver à le hisser sur le pont…Pas gagné En fin de matinée il commence à pleuvoir vraiment fort sans discontinuer, il fait 35°C à l’intérieur et nous ne pouvons ouvrir aucun hublot, c’est l’étuve. Le bateau est bien rincé, voiles, écoutes, pont, tout y passe. Bernard met son ciré et renvoie la grand-voile avec juste un ris, en 15 mn il est trempé extérieur et intérieur et mérite bien une bonne bière. Comme prévu j’ai fait un féroce avec les derniers avocats mais ils n’ont pas trop de goût et il a fallu charger en Merken. Comme tous les dimanches, Jeanne nous a fait un gâteau, un délice à l’orange qui ressemble à celui que faisait ma maman, savoureux avec le café. La pluie commence à s’estomper et l’horizon s’éclaircit. C’est sieste générale après déjeuner car tout le monde accuse le coup de trois jours de shaker. Le vent tourne petit à petit au nord et nous mettons tout dessus sous le soleil, quel bonheur. Nous ouvrons tous les hublots et chacun revit avec de l’air à l’intérieur. Nous faisons le ménage dans les légumes qui ont été malmenés entre les mouvements du bateau, l’humidité et la chaleur. Bilan : un chou directement à la poubelle, les derniers avocats par-dessus bord et une opération chirurgicale sur les carottes. Les dernières bananes connaissent leur destinée : cocktail apéro testé et approuvé par le capitaine. Je nettoie les caisses à grande eau puis c’est ambiance détente : Jeanne répète ses chansons à l’avant, le Sec surveille les lignes, Bene fait un petit somme et Yves du mail. Quant à moi, je profite du soleil de fin d’après-midi encore haut car nous avons changé d’heure à midi pour un petit coup de guitare afin de répéter une nouvelle chanson. Le répertoire continue toujours à s’étoffer. Les lignes ont remballées comme d’habitude à la tombée de la nuit. Nous faisons cap sur le petit Atoll de VANAVANA distant de 100 milles, peut être aurons-nous la chance de l’apercevoir demain en fin de journée. C’est un de premiers de l’archipel des Tuamotu, après le groupe Actéon. Gin Tonic ce soir pour arroser le changement de vent et les mouvements doux du bateau. Comment font les coureurs du Vendée globe, secoués dans leur 60 Pieds dans un bruit infernal durant leur tour d’antarctique par les mers australe ? Ils apprécient tous le virage du Cap Horn, une mer moins dure et des températures plus clémentes. Et les marins au long cours vivaient avec bonheur le temps des alizés : « mais quand viendra le beau temps des alizés, hardi les gars sur l’pont allons danser » chante BOUTÔVENT à chaque concert.
Lundi 8 Juin : Grains Polynésiens
Avant-hier nous sommes passés 200 milles au Nord des Gambier, flirtant avec les eaux territoriales. Hier nous sommes rentrés en zone française par l’est des Tuamotu sur ce vaste territoire que couvre la Polynésie Française. Grâce à elle, la France est le deuxième pays en termes de surface d’eaux territoriales. Distante de 15000 Kms de la métropole, La Polynésie Française comprend 118 îles, réparties en 5 archipels qui s’étalent sur plus de 3000 km. Elle couvre 2,5 millions de Km2 (la taille de l’Europe) pour une population de 280 000 habitants. 200000 Touristes la visitent chaque année. L’archipel de la société comprend les îles du Vent avec Tahiti et Moorea et les îles sous le vent avec Bora Bora, Raiatea-Taha entre autres. Tahiti est l’île la plus grande (1000 km2), la plus haute (2200m) et la plus peuplée (185000 h) de toute la Polynésie et la capitale Papeete accueille 140000 habitants. C’est dans ces îles que se concentre la majorité du tourisme polynésien. Les Tuamotu forment un chapelet de 78 Atolls à fleur d’eau dispersé sur 1500km du NO au SE et de 500 km d’Est en Ouest. C’est un monde à part, subsistant de la culture de la Perle et de rares touristes sur quelques atolls. Rangiroa, le plus grand (75 sur 25 km) est le deuxième atoll du monde pas sa superficie. Dans le Sud Est de l’archipel se trouve l’atoll tristement célèbre de Mururoa dans lequel furent effectués plus de 150 essais nucléaires. Nous passons à son Nord assez près (65 Milles) et cette nuit cette zone a été parcourue d’éclairs impressionnants dans le lointain. Réminiscence du feu nucléaire ? Tout à l’Est, à 1700 km de Papeete se trouve les Gambier, groupe d’îles enchâssées dans un Lagon avec une population d’un plus d’un millier d’âmes que nous regrettons vivement de ne pas avoir pu visiter tant les copains navigateurs nous ont vanté la beauté de ce petit paradis tranquille. Au Sud se trouvent les Australes, encore plus perdues et étalées sur 500 km avec 4 îles principales. Tubuaï accueillit un épisode de la saga des révoltés du Bounty. Le climat y est déjà plus frais et les touristes rarissimes. Enfin au Nord, à 1400 km de Tahiti, se situent les Marquises, immortalisées par Gauguin et qui forment un ensemble très différent, tant par la géologie que par le climat. Ici, pas de lagons mais des îles hautes volcaniques propices à de belles randonnées. On est plus près de l’équateur et la chaleur peut y être étouffante. Environ 9000 habitants pour 6 îles habitées, qui aspirent au calme et à la douceur de vivre. Ils cultivent leur différence avec une langue différente du tahitien et des particularités autour des danses, de la sculpture et de l’art du tatouage. Les infrastructures touristiques limitées les protègent d’un tourisme de masse. Ceux qui imaginent un soleil toujours présent sur les différentes zones oublient l’étendue de celles-ci et sont surpris par les fréquentes pluies et les grains violents.
J’ai le souvenir de pluies diluviennes à Tahiti et à Raiatea lorsqu’en 2002 nous avions passé 4 semaines dans la famille de Patricia, pour visiter son oncle. Le bruit des averses sur le toit en tôle ondulée de sa maison à UTUROA nous réveillait en pleine nuit, avant les chants des coqs, autre spécialité locale. C’est ce qui nous est arrivé cette nuit avec un gros nuage vers 23H00 à plus de 30 Nœuds qui a sorti tout le monde des bannettes pour épauler Yves, affaler la misaine et réduire le reste. C’est la fin de notre régime d’alizés de Nord Est et un passage de petits grains vers trois heures anime le pont. Au matin, La pétole nous tombe dessus et le vent tourne du Nord Est à l’Ouest en devenant quasi nul (moins de 3 nœuds). J’en profite pour un bon bain d’eau de mer, il n’y a rien qui décrasse mieux. Nous approchons de l’Atoll de TUERIA que l’on finit par apercevoir entre deux trainées de pluie. Une ligne sombre et quelques cocotiers qui se découpent sur l’horizon mais cela manque de lumière pour éclairer le tout. Nous décidons de faire route moteur pendant quelque temps. Le ronronnement du Perkins est propice à la lecture qui se transforme vite en sieste pour tout le monde. Nous récupérons du sommeil en pointillés de la nuit dernière mais le vent ne daigne pas se lever, les averses se succèdent et Bene se fait un shampoing dehors alors que l’on est tranquille à l’intérieur. L’équipage réclame un Pisco à l’experte de la chose. Sitôt, sitôt fait, pour se mettre en apéro avant un petit couscous, rien de tel !! Jeanne nous met deux volées au 5000 et on en reste là pour ne pas perdre trop la face. La nuit est magique pour tout le monde : entre 14 et 18 Nœuds de vent de petit largue, tout dessus, c’est l’allure préférée de Dame Cardinale. Le barreur se fait plaisir et l’équipage est bercé doucement dans les bannettes. On en redemande !!
Mardi 9 Juin : SUNNY TIME
L’aube est douce et colorée en gris et rose. Les lignes sont à l’eau, le soleil perce, ambiance vacances. Je termine les derniers légumes de pâques en ratatouille (il nous reste toujours oignons et pommes de terre achetés à Puerto Montt). Il fait déjà 34° à 10H00 dans la cuisine, cela promet une belle journée. Hier nous avions remonté les lignes en mode plus léger, c’est à dire leurre de petite taille et nylon fin devant un petit bout de pendant d’acier. Les leurres sont tous identiques en forme. Ils sont fabriqués en caoutchouc souple et imitent un calamar. On les monte avec un plomb olive enfilé dans la tête (20 ou 30g selon la taille du leurre). Puis on enfile à travers le plomb un mètre de fil d’acier et l’on termine d’un côté en fixant un hameçon de taille proportionnelle au leurre et de l’autre côté un émerillon. On fixe les deux avec un petit bout de tube appelé « sleeve » que l’on écrase à la pince pour fermer la boucle. L’hameçon vient buter dans l’olive et est caché dans les tentacules. Nous avons toute une gamme de couleurs, certaines datent de la Transat en 2014, et j’ai complété en Janvier avant de venir au Chili. Des unies : roses, verts, des bi ou tricolores intégrant jaune, bleu, vert, noir, blanc ; Bref il y en a pour tous les goûts normalement. Mais le nylon est un peu fin, il a tenu pour un thon et la coryphène mais ce matin il a encore lâché. Sur la « grosse ligne « rapport à la taille du corps de ligne, nous avons un leurre beaucoup plus gros que l’on appelle notre poupée Barbie car il a une robe en crin rose et bleu fluo derrière une grosse tête inox plombée avec deux yeux et un hameçon de 6 cm. Il est monté sur un pendant d’acier de section plus conséquente et deux mètres de gros crin transparent. Je ne sais pas combien il supporte mais nous avons remonté le Thazard et l’Espadon (c’est l’hameçon qui s’est tordu dans notre combat avec le Meka (nom tahitien de l’Espadon). C’est du costaud et on attend de pied ferme la prochaine touche. Après un déjeuner en terrasse, salade de pâtes et cholgas (grosses moules) à l’escabèche, c’est Sunny time et tout le monde cherche sa place pour un coup de bronzette, pas longtemps car cela cogne sévère. Dès que le soleil descend un peu, la guitare est de sortie pour enquiller un peu de Brassens. J’ai demandé à Jeanne de me relayer en cuisine pour une Tarte à l’oignon. Elle l’adapte à la chaleur avec du Curry et plein d’autres épices. Délicieux. Auparavant nous avons validé le « BANANA CAPTAIN » cocktail à la banane sur mûrie, gourmandise de Bernard dont les ingrédients sont maintenant soigneusement dosés, il rejoint de fait le livre de recettes en cours. Après dîner nous restons longuement dehors sous la voute étoilée sans rien dire, chacun dans ses pensées devant l’immensité que l’on perçoit dans tous nos atomes. Allongé sur un banc, je contemple les constellations australes dont je ne connais pas le nom et je me promets de m’acheter un petit planiciel (planisphère représentant la voute céleste et que l’on tourne en fonction de la saison et de l’heure), si j’en trouve un à Tahiti.
Mercredi 10 Juin : Bonheur des Alizés J’assure le quart de 6H à 9H, celui que je préfère quand il faut beau. Et ce matin le temps est vraiment merveilleux. 18 Nœuds de vent, Grand Largue, la barre est douce comme la peau d’une vahiné satinée au Monoï. La petite houle est pile dans l’axe du vent, cela ne nous est pas encore vraiment arrivé et la Cardinale se déhanche tranquillement comme une danseuse de Tango, sans surprendre son cavalier. Hier nous avons de nouveau avancé les horloges d’une heure et le soleil se lève pile à 7H00. Les cumulus sont bien rangés sur leur plaque de verre tout au-dessus de l’horizon et présagent d’une journée dans le bonheur des alizés. A 7H30, je me mets torse nu et SUN RA me caresse doucement les omoplates pour un petit massage aux UV. Pas besoin de lumière pulsée ici, l’air du large et l’astre solaire chauffant le vent portant recharge les batteries vitesse grand V. La toute petite cerise manquante sur ce gâteau polynésien serait un Mahi Mahi (Dorade Coryphène) visitant une de nos lignes. D’ailleurs après le petit déjeuner, Yves et Hervé y croient et tiennent les lignes à la main pendant un moment avant de se lasser. Nous traversons les Tuamotu sans rien voir, les Atolls les plus proches celle du groupe du Duc de Gloucester sont à plus de 40 Milles. Nous attaquons le nettoyage des hublots de pont qui sont juste au-dessus des couchettes supérieures. Ils n’ont pas servi depuis 5 ans, ayant été condamnés et scotchés pour la période Grand Sud. Nous les grattons au racloir puis nettoyons à l’essence. Il est temps de les ouvrir dans ce monde de chaleur et je vais pouvoir avoir de l’air pour dormir dans ma couchette supérieure tribord. Ce midi nous arrosons le passage des 400 milles restant à couvrir. Nous croisons tous les doigts pour que le vent tienne encore trois jours comme cela mais nous avons été suffisamment échaudés depuis le début pour ne pas rester exagérément optimiste. Profitons de l’instant : CARPE DIEM. Vision du PARADIS sur la Cardinale : 20 nœuds de vent grand Largue, coucher de soleil, poissons volants, Brassens s’invite dans le cockpit avec la guitare du Cook puis la nuit est là , Gin tonic de la barmaid suite à l’extraction d’une bouteille de Saphir Bombay retrouvée planquée dans un coffre, La compile 2004 de Michel avec du cubain et du latino à gogo diffusée sur l’enceinte Bose posée sur le teck, et ça continue avec un Service à l’assiette : Porc à l’Ananas (Recette envoyée par Mail par Virginie) , Riz moulé , Ananas rôti, Vin Casillero del Diablo Carmenere …et retour sous les étoiles (ce soir c’est Versailles) pour une répétition de chants à ripouner (à répondre) en vue de notre arrivée… Le Pacifique nous offre ses moments magiques, et après les travaux, la cavale dans les canaux, les escales confisquées, nous pensons les mériter !!
Jeudi 11 Juin : Cardinale Express
Un petit grain a agité ma nuit hors quart car il a fallu fermer tous les hublots à 2H30 dont celui qui surplombe ma couchette. Il m’apportait pour la première fois la nuit de l’air frais, même à cette allure portante. Hier nous avions descendu la misaine en fin d’après-midi car le vent avait adonné. Cela permet de surcroit de ne pas à avoir à aller sur le pont s’il faut manœuvrer en pleine mer la nuit. Ce matin, c’est La « Cardinale Express » et à 8H00 nous sommes à 280 Milles de Papeete. Avec une prévision de vent qui ne devrait pas baisser, notre ETA (Estimated Time to Arrival : heure prévue d’arrivée) s’affine et si on tient la moyenne, il nous faut un peu plus de 48H00 pour rejoindre Tahiti, ce qui veut dire que l’on pourrait prendre l’apéro Samedi, corona confinés au mouillage dans le port à la place que l’on nous aura désignée. Va falloir bricoler un taud de soleil assez vite !! Tout le monde commence à y penser vraiment et à terre notre « réception s’organise ». Le port prépare normalement notre atterrissage et les tests COVID19 associés (cela ne sera peut-être que Lundi à cause du Week-End), les frères de la Côte préparent apparemment une soirée et Denise, une amie de Claude et Martine qui œuvre avec eux dans l’organisation de la Trans Quadra tente d’organiser un accueil polynésien (dont j’ai le souvenir à l’Aéroport en 2002). Nous verrons bien et nous laisserons guider au fil des propositions. Il reste 48 heures pour prendre un poisson qui nous boude et comme on ne passe pas vraiment près d’autres îles avant l’arrivée, je suis sceptique sur nos chances de remplir le frigo. Un petit bricolage de fin de matinée pour réparer un des axes de la poulie de grand-voile qui est parti sans qu’on le voit, le brin sur lequel il était frappé a juste glissé jusqu’au réa suivant. Le temps que j’en fabrique avec un boulon et un bout de tube dans l’atelier, je suis en nage. Nous le replaçons de manière un peu acrobatique au-dessus de l’eau avec Bernard juste avant déjeuner. Avant une salade de pâtes que j’ai mise au frais ce matin, Jeanne a concocté de délicieuses Bruchettes avec le reste de pâte sablée, garnies à l’italienne : tomates, ail, basilic, revenus au four. C’est de saison. La sieste revint pour tous, qui à l’ombre, qui au soleil en fonction de la résistance au soleil ou au bronzage désiré. On sent que Jeanne souhaite arriver dorée à croquer.
Vendredi 12 Juin : Visite de La Cardinale
Le vent a baissé la nuit dernière est l’ETA se décale un peu mais nous pensons toujours arriver de jour sur Tahiti. IL fait déjà chaud et Hervé se balance deux seaux d’eau sur la tête après avoir sué dans l’étuve de la boulange. Je profite du temps libre de notre navigation tranquille pour vous faire découvrir le cœur du personnage principal de notre série de chroniques, j’ai nommé LA CARDINALE. Les terriens et même ceux qui naviguent de ports en ports s’interrogent probablement sur la manière dont se déroule la vie à 5 ou 6 dans un espace réduit pendant 2 mois……Je vais essayer de lever le voile (sans tout dévoiler cependant !!) sur notre vie à bord en vous offrant une visite guidée à une journée de notre arrivée à Papeete. Alors soyez imaginatifs et laissez-vous bercer, voilà une description de notre espace de vie. La Cardinale est une fière goélette (deux mâts égaux) de 50 pieds (un peu moins de 15m) dont l’aménagement intérieur est le suivant.
Par une descente raide de six marches, on accède au carré qui comprend à bâbord une grande table à carte occupée fréquemment pour passer des mails, regarder les cartes numériques, recharger les appareils de toutes sortes (ordis, tablettes, appareils photos, …), préparer et suivre la navigation. Puis à tribord une très belle table massive avec des banquettes en U pouvant accueillir 8 personnes, à 5 nous sommes très à l’aise. Lorsque l’on est 6, pour les besoins du service et la répartition (on se voit mieux), je (ou le Cook du jour) me (se) pose souvent sur un tabouret sur le bord extérieur. C’est là que nous prenons tous les repas sauf lorsque la température monte comme en ce moment, et que les soirées se terminent en mode enfer du jeu (il y a même un éclairage de leds rouges pour l’ambiance MACAO)…Sous les banquettes des rangements conséquents pour nos vivres secs (pâtes, riz, farines, gâteaux, chocolats, légumes secs etc …) et le bar à alcools forts. En descendant deux marches, on accède à la cabine de l’équipage. Quatre belles couchettes, 2 à tribord superposées et le symétrique à bâbord. Elles sont grandes, confortables, munies de toiles antiroulis et de couettes chaudes et douillettes, un vrai bonheur dans les canaux et un petit sauna en Polynésie. Il y a des équipets pour ranger les habits le long de chaque couchette. Yves et Hervé dorment en bas, je dors au-dessus de celle d’Hervé et la quatrième bannette sert de rangement depuis que Tim nous a quittés. En mer toujours un peu acrobatique avec les mouvements du bateau de monter s’installer là-haut. Légèrement à bâbord trône maître Reflex, notre poêle à mazout qui est condamné depuis l’année dernière. Dans le SUD, ce compagnon ronronnait plus ou moins longuement selon la latitude et permet aussi de chauffer de l’eau, le café. Un peu partout sont disposées des poignées, indispensables pour se tenir lorsque l’on se déplace en mer. Via une porte on accède ensuite au coin toilette avec WC à bâbord, et lavabo à tribord et un tuyau muni d’une pomme que l’on peut tirer du lavabo pour prendre une douche chaude (de temps en temps quand le moteur a fait de l’eau chaude). Se trouve également à bâbord un placard à cirés, des rangements et à tribord toute la pharmacie concoctée par Annie au départ de Nantes et révisée et complétée au fur et à mesure. Deux grosses poignées aident à tenir sur le trône dans la mer. Puis c’est la cabine avant qui nous sert d’espace de rangement. Sous les deux couchettes, beaucoup de matériel de rechange et les combinaisons de survie. Au-dessus, les sacs des équipiers (pratiquement vides), des couettes supplémentaires), des réserves d’eau et surtout tous les fruits et légumes bien répartis et calés dans des cageots et cartons qui sont amarrés pour ne pas bouger en navigation. Le reste des vivres est rangé un peu en cuisine (tout le courant pour cuisiner), mais surtout dans les fonds sous les planchers du carré et sous les banquettes. Ceux-ci accueillent tout le liquide : eau douce et gazeuse, bières, jus de fruits, vins ;… la majorité des conserves, la crèmerie : lait, fromages, crème, œufs, beurre, …tout ce qui est sous vide (saucisses, boudins, saucissons), les recharges d’épicerie (huiles, vinaigres, mayonnaise,….).Le volume de chargement est réellement impressionnant. La farine (1kg/jour) est stockée principalement dans des tiroirs sous les couchettes avec un sac de 25 kg de réserve à l’avant. Retournons vers l’arrière, en passant derrière la table à cartes nous rentrons dans la coursive bâbord, domaine des cuisiniers et de la boulange et qui mène à la cabine du capitaine et de sa dame. Cette coursive intègre le gros frigo à trois portes de type industriel qui est placé sous la descente et, en face, un plan de travail en longueur incluant la cuisinière à gaz sur cardans (deux feux et un four), un évier double bac avec robinet d’eau douce et pompe à pied pour l’eau de mer puis une multitude de placards rangements intégrant également une poubelle ouvrante. Nous arrivons ensuite à la suite du propriétaire avec une couchette King size, une très belle penderie, des équipets partout (d’où Madame sort régulièrement des trésors d’un endroit « connu de moi seule »ainsi qu’un coin toilettes et douche, le grand luxe pour Jeanne et Bernard. Dans le SUD, il n’y règne pas la douce chaleur générée par le poêle mais un chauffage électrique radiant, identique à celui du plafond du carré et que l’on allume dès que le moteur tourne permet de diminuer l’humidité et la fraîcheur (enfin, un peu). Nous l’avions utilisé régulièrement en mars dans les canaux (cf chronique de la période). Le tour du propriétaire ne serait pas complet sans l’atelier situé derrière le carré à tribord et qui contient un mini magasin AD (Accastillage Diffusion), c’est-à-dire une quantité phénoménale d’accastillage, de pièces de rechanges, visseries, produits d’entretiens..., des outils à profusion, une penderie pour les cirés et harnais, il abrite également le groupe électrogène et le dessalinisateur. Un coin stratégique, par lequel on accède aussi au compartiment moteur, notre bon Perkins 4 cylindres de 90 CV. Le reste des pièces de rechange et de l’outillage électrique est stocké dans d’autres coffres sous les planchers du carré. Voilà, c’est à la fois spacieux pour un bateau mais aussi pas si grand lorsque l’on vit dans cet espace depuis presque deux mois sans poser le pied à terre. Et c’est bien différent des grands catamarans modernes proposant une multitude de cabines doubles avec chacun leur toilette et douche attenante. La rusticité conviviale est une caractéristique intrinsèque à la Goélette noire et le meilleur bon critère de sélection pour les amateurs d’Objectif Grand Sud. ________________________ 12H00
Après le dernier changement d’heure pour nous recaler sur Papeete, Hervé relève la grosse ligne et je vois quelque chose briller derrière, je lui prends la ligne des mains mais ne sent rien, je relève alors la petite et là ça tire, effectivement un sillage apparait au loin. Tout excité, je réclame les gants car cette ligne fine coupe vraiment les doigts. Je remonte plus vite et à 20 mètres de l’arrière j’ai l’impression que c’est une tête qui brille. A 10m c’est clair, c’est une boite de conserve prise dans un filet. Le Sec et Bernard m’ont joué un joli tour et éclatent de rire !! Bon il reste 24 H pour se rattraper et essayer de ramener un vrai MAHI- MAHI. 15H00 : Terre !!! Le gros îlot inhabité de Mehetia en forme de cône apparait à 25 milles, il fait 465 mètres de haut et se découpe pile dans l’axe du bateau sur l’horizon. C’est moi qui aurai double ration ce soir. Nous nous en approchons toute l’après-midi et le devinons dans la pénombre à partir de 18H00. Nous passons à moins de cinq milles et laissons encore un peu les lignes, presque dans le noir, tentant encore notre chance. Mais le poisson du large a encore gain de cause et nous remontons un leurre tout déchiqueté, l’olive de plomb sortie de son logement et l’hameçon complètement ouvert. Encore un que l’on aurait peut-être eu du mal à remonter à bord…. Dernière nuit en mer que nous arrosons avec un bon Gin Tonic puis après dîner en restant tous dans le cockpit sous les étoiles un petit verre de Whisky irlandais à la main en commentant quelques épisodes de notre aventure. Le vague à l’âme est palpable et je chante doucement quelques chansons qui n’ont pas bougé de ma mémoire depuis que les parents nous les ont apprises, tout petits.
Jeanne adorera « Les crapauds ». Dernière série de quart. Les deux premiers sont idylliques avec une Cardinale qui se débrouille toute seule, on peut lâcher la barre de longues minutes, elle taille sa route vers Tahiti toute seule. Cela sera plus dur ensuite car le vent nous lâche petit à petit
Samedi 13 Juin : TAHITI
Ce matin le vent nous a abandonné et c’est notre bon Perkins, notre compagnon fidèle qui prend le relais pour faire le minuscule bout de la traversée qui reste. Bernard remet GWEN HA DU à l’arrière et hisse le pavillon des frères de la côte à tribord du mât de misaine. Nous longeons doucement Tahiti Iti (la petite Tahiti) puis Tahiti Nui (la grande Tahiti) reliées par un isthme étroit. Il fait chaud chaud et Hervé et moi nous balançons des seaux de mer sur la tête en attendant la baignade promise avant l’arrivée. Aucun bateau de visible sur cette partie nord-est de la côte et j’ai du mal à imaginer que l’on va se trouver directement dans une ville de plus de 100 000 habitants. Nous nous rapprochons un peu de la côte mais il y a toujours presque 500m de fond.
Je sens que le prochain Mahi Mahi viendra du marché de Tahiti. A 11H30 nous passons devant la pointe Vénus et mettons en panne pour se baigner. Nous relevons les lignes et le leurre de la grosse ligne est cassé !! Va falloir refaire le stock à Tahiti. Après une bonne baignade, déjeuner en terrasse, servi à l’assiette, timbale de riz aux lentilles, ratatouille fraîche et moules à l’escabèche. Puis nous longeons les faubourgs de Papeete pour arriver devant la passe principale et appeler la vigie du port. Nous avions lu dans le guide l’attitude « no stress » des polynésiens qui se dénomme « fiu » et on est tout de suite dans le vif du sujet. Le gars nous tutoie et dit « tu te mets où tu veux « » alors que nous lui avons précisé que nous devions être en quarantaine. Nous rentrons donc dans la très belle marina à 14H00 pour prendre une place au ponton…Cela fait drôle de s’amarrer et de marcher. Nous prenons une photo souvenir puis une douche au tuyau et enfin une bonne bière de l’arrivée. Il n’y a personne et il fait très très très chaud. Après-midi repos avant que je décide de sortir la viande de sa gangue de glace et que je fasse ma grosse connerie de la croisière. En grattant avec le premier couteau qui me tombe sous la main (un poignard pendu à côté du frigo) je perce la circulation du fréon sur la plaque de refroidissement, bêtement je mets mon doigt dessus mais avec la pression cela ne sert à rien, J’appelle Bernard qui me tend une boulette de pâte bi composant mais rien n’y fait.
On sera bon pour l’intervention d’un frigoriste et en attendant on va boire plus chaud. Quel dommage, je m’en veux à mort et c’est Bene qui réussit à me désénerver avec son calme légendaire. Je vais me baigner puis je me console en préparant le menu gastronomique d’arrivée : Pisco pour faire le lien avec le chili, Foie gras et Filet de bœuf, patates rôties, plateau de fromages pour la France où nous sommes arrivés et Carmenere pour le souvenir de Puerto Montt !! 4600 Milles depuis Puerto Montt, 5 Nœuds et demi de moyenne, 7 semaines sans descendre à terre, 5 jours de break au mouillage à Juan Fernandez et Pâques, 3 poissons pêchés, 6 leurres perdus, des centaines de mails échangés, des repas élaborés et servis dans toutes les conditions. C’est le bilan chiffré d’une CoronaVirée que je n’avais pas prévue de cette manière. Je clos là ces chroniques Transpacifiques qui m’ont occupé une partie du temps de la traversée. Les mails reçus en permanence ont été un fil nous reliant à tous et un soutien dans les moments moins faciles et je remercie chaleureusement ceux qui nous on écrit. Merci à celles et ceux qui ont suivi notre périple à travers ces écrits, confinés en France ou ailleurs. Mes derniers mots sont pour Patricia, ma doudou chérie qui a subi le confinement seule et que j’aurais tant aimée voir à notre arrivée pour un petit séjour Polynésien. Ce n’est que partie remise, le terrain de jeu est vaste, et La Cardinale va prendre goût au soleil et aux eaux turquoises.
A Bientôt. NA NA !!