Saison 6 - Episode 14 : La Cardinale en mode furtif

On longe la côte pour faire le tour de l’île de Pâques, enfin, une grande partie.

L’océan gronde. Les vagues fracassent sa côte à grands coups de dents et la falaise blessée tombe. Tombe de haut parfois. Mais La Cardinale a doublé les deux rochers de la pointe Sud Est et s’approche de la Baie de La Pérouse, puis découvre Anakena, au Nord est de l’île.

C’est là qu’elle se prépare à mouiller, devant une plage de sable blond, dans une eau turquoise… Des palmiers, des chevaux, de l’herbe verte, des paillottes et surtout face à nous des moias qui se dressent au bord haut de la plage. Il y en a même un plus grand à part qui lui aussi tourne le dos à la mer. Nous y sommes !Rapa Nui, c’est bien elle, cette île mystérieuse et mythique qui reste une énigme même si on dit d’elle qu’elle serait le nombril du monde. Mais nous sommes confinés. Et nous manquons de fruits et de légumes.

Tiens, un Wing-surfeur avec une voile jaune et transparente, en forme de cuisses de grenouille s’approche de la Cardinale et devant notre air déconfit…de ne pouvoir descendre à terre réplique dans un grand sourire « Ce n’est pas grave, il y aura une autre fois peut-être, il faut écouter son Mana…, son esprit intérieur. » Simple, il fallait y penser !

Mais le Mana agit et nous entrevoyons un moyen d’acquérir les fruits convoités afin que bien sûr, l’équipage ne soit pas atteint de scorbut. Un homme d’aventure et de grand cœur que je ne peux nommer ici se propose de cueillir ce qui nous manque et de laisser sur un rocher les précieuses victuailles. A l’heure où le soleil commence à décliner, nous pourrons d’un petit coup de kayak échanger fruits et légumes et remercier notre bienfaiteur. Ainsi fut fait. Et bien fait. Faut-il avouer ici que ces mouvements ont mis certains d’entre nous dans une allégresse indicible, une joie d’enfants effrontés qui ont osé poser le pied sur la lune. Oui, et de façon furtive, au couchant du soleil, j’ai pris une photo de La Cardinale seule dans son mouillage de rêve, face aux moias et avec un grande feuille de palmier en premier plan.

Si l’île de Pâques abrite le Mana, l’esprit qui vient à la rencontre de chacun, il se pourrait bien que nous ayons fait sa connaissance ce soir-là. Kénavo,Iorana korua, ka oho riva riva. Salut à vous tous et bon voyage nous lancent l’ami et la belle Pascuanne sur la côte. Et nous sommes repartis, avec des vitamines et des désirs de revenir découvrir Rapa Nui avec le guide qui connaît bien son île.

Et La Cardinale s’élance à nouveau vers la grande houle. Vent Est-Sud-Est. Cela remue bien. Une impression d’être une bille sur un plateau à trous. Le bateau tangue et puis roule puis tente une croisée des deux… Gare aux verres qui se renversent, qui se fracassent, aux assiettes qui valsent et aux équipets qui se vident à grand bruit. Rien de nouveau pour les habitués du long cours qui ont le réflexe de se tenir et de se retenir des mains et puis des jambes. Une acrobatie aussi soudaine que musclée. Vitale parfois ! A filmer, et ce ne serait pas camera au poing…

Mais nous rêvons maintenant de Pitcairn, l’île des Naufragés du Bounty. 1300Mn à courir avant de fouler la côte anglaise qui a accueilli Monsieur Flechter Christian, le second qui a fomenté la mutinerie. Cette escale sera bienvenue et nous nous racontons l’histoire de ce naufrage en rêvant d’une bonne bière fraiche servie dans le bar sur la place, devant la baie. Hélas, cette île aussi nous sera interdite « pour ne pas fragiliser l’équilibre de la petite population existante. »

Ok. On ajuste le cap pour les Gambier. La Cardinale va bien, toujours poussée par des vents portants, le rythme à bord est ponctué par les bons petits repas du Cook qui rivalise d’idées et d’audace parfois pour nous faire voyager à travers les épices. C’est toujours un très bon moment. Surtout si la pêche est au menu ! Nous avons pu remonter trois magnifiques poissons depuis le départ :d’abord un thon, dont le premier tartare nous a laissés sans voix et quasi religieux à sa dégustation. Puis un grand thazard qui est resté à l’affiche du restaurant pendant plusieurs jours. Cru ou mariné, Gravlax et marinades, cuisine exotique au coco et citron, au four, en darnes dorées, le Cook se surpasse et nous régale chaque jour un peu plus! Puis une dorade coryphène sort de l’eau dans sa robe couleur soleil et avec notre gratitude émue et gourmande pour son sacrifice, s’offrira en première page de la carte étoilée de La Cardinale.

A ce jour du 6 juin, nous avons à nouveau essuyé un refus de nous arrêter aux Gambier sauf à assumer une quarantaine d’au moins quatorze jours, avec un mouillage piloté par la gendarmerie et devant le poste de police de l’île. Ok. Toujours un peu déçus mais résignés et respectueux des consignes, nous inclinons un peu le cap pour viser Tahiti et Papeete. Là, nous pourrons espérer un confinement plus court assorti d’une visite de santé… Et nous pourrons aller courir dans l’herbe fraiche.

A bord, et malgré une traversée sans aucune escale, le moral de l’équipage reste bon. A ce jour, il reste moins de 900Mn. 32° à l’intérieur, le bateau roule et tangue tant qu’il peut. Des grains, un vent du Nord-Nord-Est, 20-25 nœuds, cette nuit, rafales à 30-34, cap au 278 et toujours dans la grande houle.

Le Pacifique se mérite.

La Plume qui vous embrasse.