Saison 6 - Episode 15 - FINAL : L’océan pacifique déroulé
Devant l’île de Tahiti et, un peu plus émue que je ne saurais le montrer, je viens vous retrouver pour un dernier récit.
Avant dernier peut-être.
Cette traversée a été gagnée, menée par un équipage déterminé et enthousiaste, sur un bateau préparé aux petits oignons. Une belle grande révision était nécessaire pour repartir l’esprit tranquille traverser l’autre océan, Le Pacifique et ses 4000 milles de grande houle.
Il a fallu des ingrédients de bonne humeur pour dépasser les confinements successifs et inventer des parades pour s’esquiver furtivement dans les canaux.
De bonnes doses de détermination pour affronter les refus de sorties et pour remonter au créneau les redemander à l’Armada de Puerto Montt. Il a fallu aussi rassembler les énergies pour refaire l’avitaillement pour deux mois, ne rien oublier alors que les rayons étaient à moitié vides dans les supermarchés. Enfin, vérifier que l’essentiel est bien à bord, que tout fonctionne.
Il fallait en vouloir…
Puis « larguer les amarres » avec toute la connotation qui s’en suit. Larguer garde toujours un peu de sel sur le bord de son image. Et même si on est brave de partir à l’aventure, même si on se congratule d’en être, de ce voyage, ça y est… on est parti et le regard s’étire comme un élastique vers la terre qu’on quitte pour longtemps. On se donne le temps d’imprimer, de graver la dernière image avant de se tourner résolument vers le large.
Alors on le fête ce départ, on fête autant qu’on craint la première nuit en mer, on s’organise pour les quarts. On salue vraiment en conscience et respectueusement le lever du jour dès qu‘il se pointe. Jour, nuit, jour, nuit, l’un après l’autre. Le jour se déroule, en un rythme à quatre temps marqués par le petit-déjeuner et le goûter et surtout les deux bons repas, si bons que le Cook mérite ici encore un vrai coup de chapeau ! La pêche est quotidienne et nous aura laissé prendre trois magnifiques poissons : un thon, un thazard et une dorade coryphène. L’espadon fou furieux et vexé d’être pris à la gueule, s’en repartira d’un coup de queue salvateur pour lui… et peut-être pour nous qui n’étions pas équipés pour une si grosse bête ni pour nous défendre de son rostre qu’il pointait comme une épée. Tout le monde était sur le pont. Chacun à bord partage et participe au mieux de son savoir faire. Certains, très actifs cumulent les tâches, d’autres restent à l’écoute tout en répondant aux manœuvres ou aux besoins exprimés, d’autres encore gardent calme et patience et minutie dans les ateliers de bricolage. Si à la lecture de cette description, vous croisez ces talents, vous ne verrez qu’un équipage qui a réussi le challenge de son projet. Et c’est bien vrai.
Mais il y a dans la vie à bord un petit quelque chose de subtil qui ne peut se dire, qui se vit au quotidien, où il faut avancer, faire avancer le bateau au mieux, gagner les milles nautiques, se rapprocher du but. Composer avec des personnalités fortes, les laisser s’exprimer. Se retenir de dire. Composer. Garder dans l’esprit le climat général qu’on veut tous maintenir au beau fixe. Il y a un mouvement interne qui agit comme un régulateur, un désir commun que tout se passe bien.
C’est pourquoi, le pied à terre est bien nécessaire, comme une respiration. Il laisse une empreinte. La sienne. Il pose une première distance avec ce qu’on vient de vivre. Il y en a des choses à dire… Mais comment les dire… Tout se bouscule. Par quoi commencer ? Et à qui dire quoi ? Cela vient tout seul parfois. Parfois non. Ce sera selon les qualités d'écoute qui vont bien, selon sa propre disponibilité et les lieux choisis. Un petit quelque chose d’indéfinissable se décante. Ou peut-être d’indicible sauf à la personne qui serait dans l’instant sur la même longueur d’onde que soi. Mais ce n’est pas le cas. Les mots s’échappent sans avoir pris forme, un peu à la manière des éphémères qui meurent dès qu’elles ont pris leur envol.
Et en définitive, chacun saura peut-être dérouler le fil de l’histoire, chacun à son rythme et selon son regard.
Alors, la grosse bobine finira par retrouver ses couleurs d’arc-en-ciel.
Et nous sommes arrivés à Papeete, heureux d’y être, heureux « d’avoir déroulé l’Océan Pacifique », presque un peu au ralenti, comme retenus d’exprimer la joie de l’arrivée qui aurait dû déborder d’elle-même si nous n’avions pas eu à subir le confinement demandé.
Nous attendrons le test du Covid 19 et la visite des hommes en blanc. En grande tenue de cosmonautes, masqués et gantés, en équilibre instable sur le ponton, mais très aimables et souriants, tout comme la Police locale qui attend son tour. Nous déclinons nos identités, nous présentons nos narines sensibles et parafons au bas de la page nos signatures de bons citoyens respectueux des consignes.
C’est la règle du jeu et nous avons bien conscience d’en joué une bien jolie partie… Et puis, nous sommes en Polynésie, là où le soleil est radieux et où les habitants, avec un grand sourire, commencent toujours par nous souhaiter la bienvenue. « Iorana ! »
Alors, cette première bière locale et bien fraiche ?
Et tous de lever son verre en disant : « Manuia ! »
La Plume qui vous embrasse.