Saison 6 - Journal de bord du Cook 6 : 25 Mai au 4 Juin
Dimanche 25 Mai : MOAIS
Cela remue dur dans la nuit, le vent est monté et avec la houle, le mouillage grince de manière désagréable. Yves et moi nous levons à 4H00 et décidons de faire veille jusqu’au matin, il prend le premier quart. Un peu avant 8H00, je propose à Bernard qu’on décolle. Sortir l’ancre dans ses conditions est toujours un peu compliqué et nous sommes contents d’avoir un guindeau bien dimensionné pour sortir les 45 mètres de chaîne. Nous longeons la côte avec une grosse houle, la ligne de crête rappelle l’Auvergne avec ses puys volcaniques caractéristiques. Après être passé devant le sommet RANO RARAKU, lieu de fabrication de toutes les statues qui étaient ensuite transportées sur les différente AHU disséminés sur toute la frange côtière de l’ile, nous apercevons la célèbre rangée de Moaïs de TONGARIKI, éclairés par le soleil. Il ne serait pas prudent de s’enfoncer dans la baie HANGA HOTUITI avec cette mer mais on les distingue nettement avec une émotion que chacun ressent. Nous rasons la grosse falaise entre le cap Roggeveen et le cap O’higgins, laissant à bâbord l’impressionnant pilier de pierre du Motu MAROTIRI. La lumière fait rejaillir la diversité des couleurs depuis le gris et noir de la base, les rouges et ocres des différentes strates de roche et le sommet du plateau, vert tendre devant le vert plus soutenu des arbres enraciné dans une terre qui ressemble à de la latérite. Sitôt passé le cap, nous remontons au moteur le long de la côte, le vent est soutenu et la mer étonnamment un peu formée avec de la houle qui vient de l’ouest alors que de l’autre côté elle était forte et plutôt Sud. En longeant la baie de La Pérouse, nous nous disons que le mouillage risque d’être aussi agité, mais en s’enfonçant dans la toute petite baie d’ANAKENA, la mer baisse et il ne reste qu’un résidu de houle raisonnable. Nous mouillons par 8m de sable blanc dans ce site exceptionnel. Juste au-dessus de la belle petite plage, sur la gauche un AHU domine le site avec 6 Moaïs dressés dont trois coiffés de leur rond. Ils nous tournent le dos, regardant vers le Sud. A 100M un autre AHU plus petit est surmonté d’un Moaï beaucoup plus gros et massif. Impressionnant. Lui aussi regarde dans la même direction et est entourée de beau palmiers. Il y en a plusieurs rangées tout au-dessus de la plage et à droite sont construites plusieurs paillottes dont une semble être un bar ou un petit restaurant. Un petit quai en pierres noires borde la plage, surmonté d’une sorte de petit kiosque avec un toit en feuilles de palmiers. L’endroit est vraiment magique et évidemment cité comme remarquable sur les guides. C’est d’ailleurs la seule plage de sable blanc de l’île. Nous tentons un apéro en terrasse mais il faut se réfugier dans le Doghouse quand un grain passe et le vent du Sud est particulièrement frais. Je sculpte un Moaï dans un cornichon, posé sur un Ahu de saucisson pour l’ambiance avant de déguster des rillettes de Thazard Anakena, nouvelle recette que m’inspire le site. Des voitures commencent à arriver près de la plage pour le pique-nique dominical même si personne ne se baigne. Après une sieste qui nous retape de la veille, nous mettons tous les cirés à sécher.
Il y a maintenant du monde sur le site. Familles qui se baignent, pêcheurs le long des rochers avec des seaux blancs à la main, plongeurs en snorkeling dont deux jolies Pascuanes qui approcheront tout près de La Cardinale. Il y a même un véliplanchiste avec un engin peu commun, un court flotteur à foil qu’il arrive à faire décoller avec une sorte d’aile delta qui le sustente à bout de bras sans harnais, étonnant. Il tirera des bords pendant une heure juste devant la plage. Nous avons un contact VHF avec Patrice et nous mettons d’accord sur un avitaillement en fruits et légumes que l’on va essayer de faire discrètement, on ne sait pas encore comment. En préparation, je fais un tri dans le peu de ce qui reste et jette le reste. J’en profite pour sortir la grosse paire de palmes et les chaussons que j’avais offert avec la combien de plongée à la Cardinale au départ de Nantes. Je me mets à l’eau pour une petite sortie snorkeling. L’eau est très claire et nous sommes mouillés au-dessus de patates de corail dans laquelle la chaîne fait un angle, l’ancre étant crochée dans du sable. Je vais jusqu’à la plage et au petit quai pour au moins poser genou à terre puis revient tranquillement en suivant le fond de corail. Jeanne fait ensuite une longue baignade puis nous déplaçons le bateau de 80 mètres pour être sur du fond de sable, car la chaîne s’abime vite dans le corail. Le soleil déclinant éclaire la rangée de Moaïs qui lui tournent le dos, eux regardent les étoiles. Yves a commandé du Thazard provençal et je m’exécute pour le bonheur de nos papilles. Un minuscule croissant de Lune se lève mais ne contrarie pas la puissance de la voie lactée, que les polynésiens vénèrent. La nuit est d’une douceur que nous avions oublié depuis les mouillages dans les Caletas.
Lundi 26 Mai : Fruits et Légumes pascuans
Grand beau temps pour saluer notre réveil ce matin au pied des AHU. Un gros chantier nous attend. Depuis presque 3 semaines, des odeurs variant entre le désagréable et le pestilentiel remontent de la cale moteur. Elles sont sensibles dans tout le carré et le coin bannettes mais aussi dans le cockpit, se diffusant par les évents de la colonne de barre. L’équipage s’en est plaint au capitaine mais son odorat doit baisser un peu comme son audition. La gradation passant au pestilentiel, il a convenu que l’opération de maintenance ne pouvait plus être différée. Le circuit d’évacuation des eaux usées de la Cardinale est ainsi fait. L’évier de la cuisine, les deux lavabos et douches se déversent dans une boîte fermée, placée au fond de la cale sous la descente. Elle contient une pompe qui via un flotteur de niveau, se déclenche automatiquement et évacue le tout à l’extérieur. Nous avions prévu avec Bernard de nettoyer l’ensemble mais c’est passé en priorité 2 dans la foule de travaux à Puerto Montt. Dans les Caletas, nous avons profité de la vie et il est très compliqué de mener l’opération en navigation. Là, il faut mettre les mains dedans car la pompe ne déclenche plus et les eaux nauséabondes débordent, se déversent dans les fonds, sont étalées partout au gré du mouvement du bateau, et sont vidées lorsque l’on met la pompe de cale en route à la vue du niveau d’eau visible. Nous mettons les bleus prêt à attaquer quand un navire, porte hélicoptère de l’Armada, déboule de l’horizon et vient se placer un mille sur notre arrière en bouchant une partie de la baie. Un Zodiac noir à propulsion jet fonce vers nous à 30 Nœuds et passe à 50 m portant 6 hommes en noir casqués, genre commandos de marine. Nous n’avons pas cru que c’était pour nous, tout juste dans notre imaginaire de fugitifs du corona …Ils accostent au petit quai sans débarquer et échange avec un officier arrivé en voiture. Puis repartent et viennent tout près de nous en filmant avec des GO-Pro , le paysage et les fonds marins, encore un reportage amateur où nous apparaitrons. IL est temps de se mettre au chantier et nous commençons par sortir la pompe qui est dans un état critique, tout englué de graisse et que l’on confie à notre nettoyeur. Puis vient le lavage de la boite (sans commentaires) et enfin un grand lessivage et rinçage des fonds grâce à notre pompe d’eau de mer électrique auquel nous rajoutons un jet. Deux passages avec du détergent et une bonne demi-heure de rinçage avant que la pompe de cale ne commence à déverser une eau plus claire. Bernard remonte ensuite la pompe toute propre, le circuit marche nickel mais la bête reste capricieuse. Pause déjeuner au soleil car ce travail est rude alors que le paysage autour de nous ne demande qu’à être admiré. Pendant le café, Patrice appelle à la VHF. Il a cinq caisses de fruits et légumes et se propose de faire l’échange dans une minuscule crique dont on ne voit pas l’intérieur sur la côte à l’opposé du quai. Il est déjà là-et l’on distingue son Van, garé juste au-dessus. Bernard part avec le kayak, se faufile par un trou de souris, nous ne le voyons plus. J’enfile palmes et masque et les rejoint à la nage. Il y a un espèce de sas à l’entrée de la crique et je me tire avec les bras mon ventre affleurant les cailloux, assez lisse. Patrice est là, avec Guy et Veronika sa compagne, une pascuane. Il y a un petit grossier en pierres de lave noires et une paillote rudimentaire. Nous discutons un moment sans mettre pied à terre, payons Patrice avec un pourboire d’Armagnac du château. Il est ravi. Je repars à la nage, Bernard me suis en prenant un des caisses. Il refait un aller-retour pour deux autres caisses, puis laisse la place à Jeanne qui offre in T SHIRT Objectif Grand Sud à Veronika. Pendant ce temps, Bernard échange la pompe d’eaux usées avec celle d’eau de mer car c’est le même modèle et tout fonctionne parfaitement. Jeanne revient, le kayak chargé à bloc avec les deux dernières caisses que nous commençons à ranger avec Yves dans le poste avant qu’il avait préparé à cet effet dans la matinée. Nous avons une proposition de partager des Sopaipillas, ces délicieux beignets chiliens mais le capitaine prudent décline l’’invitation. Jeanne est chargée de porter le message. Tous les deux nous trouvons cela trop frustrant, repartons avec l’annexe pour prendre des photos dans une belle lumière puis débarquons dans la crique. Gilles est un ancien prof de techno qui après 25 ans passés à Tahiti, la retraite venue, s’est installé au chili un peu au-dessus de Valdivia. Véronika sa compagne pascuane rencontrée à Papeete a une petite cabane isolée dans la colline, 150 m au-dessus de la baie. Ils sont venus passés dix jours et sont restés coincés à cause de la pandémie. Entourée de trois jeunes filles qui roulent les beignets, notre hôte locale fait cuire sur un brasier, dans une vieille poêle remplie d’huile sur un trépied bancal. Elle nous les tend tout chauds avec de la confiture de goyave maison, un vrai bonheur. Nous restons bien une demi-heure à échanger, prendre des photos pendant qu’arrivent d’autres membres de la famille. Au moment où l’on se dit qu’il est temps de rentrer apparait un gros pick-up blanc avec un gyrophare et un premier policier tout en noir avec un masque corona descendu sur son cou suivi d’un second un peu plus haut. Nous avons clairement franchi la ligne jaune et on fait semblant de ne pas le voir. Veronika nous fait signe de partir vite et nous remontons dans l’annexe. A peine quelques coups de pagaie et le policier nous interpelle du haut de la côte. Nous expliquons que l’on ne parle pas espagnol, juste anglais et que l’on est venu prendre des photos depuis le « YATE ». Après quelques échanges conclue par la date de départ le lendemain nous rentrons penauds sans nous retourner. A bord, Bernard a été contacté par VHF et a dû expliquer que deux membres de l’équipage étaient partis prendre des photos. Plus de peur que de mal donc mais un sévère avertissement que l’on noie dans un Ti-Pisco (Ti-Punch où le Pisco remplace le rhum) avant notre dernier repas de Thazard, sancké façon Teriyaki. Incroyable comme ce poisson est resté frais, sans dégager d’odeur, avec une chair ferme savoureuse. Vivement le prochain !! Les lignes sont prêtes pour notre nouvelle traversée vers Pitcairn et les Gambier.
Mardi 26 Mai : Vent frigo quand je sors sur le pont sous un ciel couvert.
Après un petit déjeuner bien à plat, nous conditionnons les derniers légumes. Patrice nous a acheté choux, carottes, tomates, aubergines, courgettes, concombres, pommes citrons, oranges, papayes et des avocats tout ronds gros comme un petit pamplemousse. Il nous offre aussi une grosse partie d’un régime de bananes, des goyaves, des herbes (Basilic, Coriandre, Persil) et des salades de son jardin. Le poste avant est magnifique et le filet tendu sous les panneaux solaires rempli de fruits à mûrir. La solidarité des marins est encore plus présente dans ces coins perdus, loin de France. A midi, il nous gâte en apportant un gâteau Pascuan et deux pots de confitures de Goyave maison. Nous regonflons la Kayak et tout le secteur étant désert, Jeanne va chercher ces présents dans la petite crique. Nous rangeons le pont et calons les derniers trucs qui trainent. Puis c’est dernier repas de Thazard avec le deuxième filet Gravlax accompagné d’un taboulé aux herbes, recette que m’avait apprise Michel au Croisic, encore un cuisinier hors pair, amoureux des produits frais et des saveurs authentiques. 14H00 pétante, c’est reparti pour 1400 Milles avec peut être un arrêt à Pitcairn à 1100 Milles, ne fonction de l’état des mouillages. Patrice, Gilles et Véronika nous font des grands signes du rivage, un peu comme quand la population de l’ile disait au revoir aux rares bateaux de passage dans les siècles passés. Les Moaïs ne retournent pas leur buste sur l’AHU mais le Mana nous accompagne avec une météo qui s’annonce portante pour la suite. Nous longeons la côte ou des creux de verdures se nichent entre les pierres noirâtres, héritage du volcanisme. Apparait une coquette ferme avec des chevaux et des palmiers dans une combe herbue. Nous passons le Cabo Norte et apercevons au loin Hanga Roa, le bourg où se concentre 90% de la population de l’île. Grand-Voile haute, génois déroulé entièrement, pas de misaine qui le dévente à cette allure de grand largue. Sitôt éloigné de l’abri des côtes, le grand manège du roulis reprend ses droits avec de brusques rappels et nous devons nous réaccoutumer à la danse de La Cardinale après des jours sereins au mouillage. L’après-midi passe vite et j’écris deux recettes et la manière dont je découpe un poisson pêché en vue de le conserver et le cuisiner sur plusieurs jours. La nuit est en train de tomber dehors et je n’y ai pas fait attention. Sitôt fini mes devoirs, je propose à Bernard de rentrer les lignes. La plus fine tire énormément, il y a forcément quelque chose au bout. Je prends le relais de Bernard et dans l’excitation oublie de mettre des gants. Dans la faible lumière, je vois apparaitre un beau thon 20m derrière qui ne se débat pas et parait noyé. Je crie pour appeler Hervé qui prend son temps pour venir. J’essaie de remonter les derniers mètres de fil que j’ai monté en bas de ligne il y a une semaine, la tension est telle que cela glisse ou entaille un peu la peau. Hervé est le croc à la main, je fais deux tours autour de mes doigts, sors la tête de l’eau mais un violent coup de roulis balance le thon sur la pale du WATT and SEA et le thon, nettement plus gros que notre première pêche se décroche. Nous avons dû trainer la pauvre bête un moment car il part en travers sans bouger. Quel Dommage. THONS 3 – PECHEURS 1. Les thons mènent nettement. Le constat imparable est que même si nous posons les deux lignes toute la journée, les touches ont lieu entre 18 et 19H, c’est-à-dire qu’il faut se préparer à découper la pêche dans le noir avec un bateau qui roule beaucoup…bel exercice. Le temps de se remettre de nos émotions et l’on ne distingue plus « le nombril du « monde », Rapa Nui. Y reviendrons-nous un jour ?
Mercredi 27 Mai : Coryphène !!!
Nous nous sommes aperçus avec Bernard hier soir que l’alternateur d’arbre ne débitait plus alors que la courroie tourne bien. Dès ce matin, nous barrons un peu à tour de rôle, surtout Yves à l’aise avec cet exercice beaucoup plus qu’Hervé et qui ne fait pas de cuisine ni de boulange. Le capitaine qui a peu dormi se rattrape et apparait au soleil en pleine forme en fin de matinée. Cela commence à sentir le régime d’alizés, en tout cas ce sont les prévisions bien confirmées par notre allure au portant. Le vent reste cependant changeant avec des écarts de plus de 25 degrés en direction et du simple au double dans les passages nuageux. Je m’apprête à servir le déjeuner lorsque Bene appelle dehors, la petite ligne est tendue. Nous sortons une petite dorade Coryphène qui change de couleurs dès qu’elle arrive sur le pont en passant d’un jaune d’or à pois bleu à un jaune plus citron à pois tirant sur le gris. C’est difficile à décrire mais ceux qui ont vu cet instant fugitif s’en rappellent toute leur vie. Je la découpe rapidement sur la plage arrière, le sang est rouge très sombre. Rien à voir avec le temps passé sur le gros Thazard. Je garde deux filets pour un Gravlax, un petit tronçon et débite le reste en lamelles que nous dégustons immédiatement avec un filet de citron vert ou nature. L’après-midi est consacré au démontage de l’alternateur après sa dépose. Nettoyage des charbons, dégraissage de la courroie, rien n’y fait et après l’avoir remontée nous nous avouons vaincus. Il y a sûrement un élément qui a lâché à l’intérieur et c’est au-dessus de nos compétences. Pendant que Jeanne est à la barre, le soleil décline, nous restons en quart de pêche de 18H00 à 19H00 mais pas de nouvelles touches. Je jongle un peu avec les gamelles et le four pour servir des boudins PBP (Pommes Bananes Pommes de terre). Les petites bananes pas encore mûres du régime offert par Patrice s’intègrent parfaitement à l’ensemble avec un goût de châtaignes. Par contre, les boudins ont largement dépassé leur date limite, cela se ressent et seuls les goinfres terminent leur assiette. La journée pêche - bricolage a bien chargé tout le monde et dès le début de mon quart à 21H00 chacun va se coucher à part Yves qui me raconte l’histoire des révoltés du Bounty, passionnante épopée qui l’a marqué. Nous sommes dans les pas de l’histoire en visant Pitcairn qui est maintenant à moins de 1000 milles !!
Jeudi 28 Mai : Alizés
Ce matin les alizés semblent bel et bien accrochés. La première ligne de pêche est posée par Bernard dès le lever du jour qui se décale petit à petit. Il va falloir que nous songions de nouveau à changer l’heure pour suivre la course du soleil car nous avançons plein ouest régulièrement. La température sur le pont est « parfaite » comme dirait Hervé qui en amateur de restaurants gastronomiques utilise le terme à tout bout de champ pour brocarder ma cuisine. Je lui en suis gré, cela me permet de corriger les recettes pour les améliorer, le plus difficile étant de bien doser les assaisonnements. C’est de toute façon une gageure entre ceux qui comme Bernard préfèrent plus épicé, ou d’autres souhaitant plus nature. Je fais au mieux et surtout à mon palais qui n’a pas la finesse de celui de Timothée ou de Martin, mes références culinaires proches. Ce sera Tartare de Coryphène pour midi et apparemment il y a consensus sur l’équilibre. Yves est bon convive, fine gueule et toujours à me complimenter. Il a pitié d’Hervé qui ne boit que du blanc à l’apéro et prend le temps de déplacer les caisses de légumes pour extraire les dernières réserves du poste avant. Au dessert, les goyaves sauvages glanées par Patrice au fil des sentiers pascuans font merveille. Les petites bananes bien mûres ont aussi un autre goût que les antillaises ou équatoriennes qui sont notre quotidien en France. Il va falloir les surveiller car les toutes vertes que j’ai détachées du régime au départ d’Eastern Island changent déjà de couleur. La sieste est de rigueur sauf pour l’homme de barre apercevant de temps en temps une nuée de poissons volants et pour Jeanne qui passe du temps à écrire aux patients qui ont vu leur RDV Corona différé. Elle ne dit pas si ses mails remplaceront la consultation tant attendue. Après le thé, je sors (enfin) la guitare pour un moment musical partagé avec Jeanne et Bernard. C’est l’heure douce, celle ou le soleil décline doucement de face dans l’axe du bateau et nous offre régulièrement une « gloire ». J’ai un peu mal aux doigts de ne pas avoir assez joué et une averse, la première de la journée, met fin au tour de chant en plein air. Ce midi, en farfouillant dans le frigo, j’ai retrouvé un ultime petit tas de Thazard bien enveloppé dans un sachet plastique. Je le cuis à l’eau citronnée et vinaigrée pour servir de base à des rillettes qu’Yves malaxe patiemment. Ce sera le « der des der » pour notre beau poisson qui nous a offert 8 repas et deux copieux apéros. Vivement le suivant. Nous profitons des légumes frais pour se délecter d’une ratatouille un peu « hot » aux dires de Jeanne. Quand il fait chaud, il faut manger épicé et le Captain est aux anges !! La nuit s’annonce rouleuse vu la valse des dés qui ont du mal à se stabiliser pour annoncer les scores de notre 5000 vespéral. On commence à s’y habituer !!
Vendredi 29 Mai : Crème Solaire
L’alizé tient même si le vent baisse un peu. La houle s’oriente dans le bon sens mais nous avons perdu de la vitesse. Ce matin, il faut sortir les crèmes solaires dès la fin du petit déjeuner, surtout pour celui qui barre. Le reste de l’équipage entame un bel atelier lecture. Ceux qui ont trop chaud se rafraichissent avec les auteurs cultes de la Patagonie : Sepulveda et Coloane ; Bernard est dans le bel ouvrage « Sapiens » ; les retardataires de l’île de Pâques essayent de terminer Metraux, quant à moi je suis accroché à Frederick Forsyth avec « le Négociateur ». Nous préparons un prochain café littéraire. Le temps est propice à un séchage ultra rapide de lessive. Il n’y a même pas de bricolage de prévu, il faudrait pourtant fabriquer un support de cockpit pour les verres mais les matériaux deviennent rares et j’ai la flemme de m’y mettre. Les petits cumulus qui montent de l’horizon s’enflent en prenant les formes que notre imaginaire exploite. Là une belle ancre de marine blanche sur fond bleu comme sur la casquette d’un marin d’opérette. Ici une pointe, souvenirs croisés des flèches Onas dans « aux confins de la terre de Bridges » avec les obsidiennes Pascuanes. Le rythme de la haute mer offre ces divagations, si rares dans nos vies pressées par des agendas sur vitaminés. Espérons que le confinement en mer comme à terre ouvrira un tout petit peu nos yeux d’occidentaux sur la sagesse polynésienne du laisser vivre. Avec Jeanne nous relevons les paroles de « La Rochelle » de Michel Tonnerre que Yannick chante si bien au CAP 270 ou chez Peggy. Je me promets de travailler l’accompagnement guitare et la chanson également. A l’apéro, c’est le groupe Cré Tonnerre qui nous accompagne : festif, varié, des compositions décoiffantes, de superbes voix et des instrumentistes de qualité : on en redemande !! Je ne sais pas si la formation tourne encore mais ils ont du faire un tabac. Les salades bien fraîches sorties du frigo pour le déjeuner au soleil sont un bonheur simple et nous remercions tous encore Patrice en pensée pour ce bel avitaillement. Nous nous relayons tranquillement à la barre au gré des envies de chacun. Seul Hervé ne renouvelle pas ses expériences d’avant Juan Fernandez. Inconvénient dès la fin de matinée, on bronze toujours du même côté, il va falloir faire route à l’Est ou bien des heures de siestes bien se positionner sur le pont pour une couleur uniforme. Les bananes du régime de Patrice mûrissent à toute vitesse, nous en prenons à chaque dessert mais il va falloir trouver à les utiliser autrement. Je teste donc une nouvelle recette : un Parmentier boudin bananes pommes de terre. Yves confectionne une superbe purée, Jeanne me conseille de cuire les bananes à la vapeur, et pendant ce temps, j’émiette les boudins avant de positionner mes trois couches. Nous nous précipitons dehors pour un coucher de soleil dans les nuages, notre espoir du rayon vert attendra. Le plat est enfourné et les lignes sont rentrées comme toujours à la tombée de la nuit qui s’annonce lumineuse. Le Parmentier original est validé par le haut comité gustatif de la Cardinale. Hervé émet bien des réserves sur la fraîcheur des boudins, justifiées vu la date limite sur le paquet mais pour notre palais, cette légère acidité est contrecarrée par la douceur des bananes. Il ne me restera plus qu’à transcrire demain la recette pour le futur cahier. Personne n’est pressé ce soir, la nuit est tellement douce. Etre dehors en short et t-shirt léger, le bateau glissant lentement dans un sillage parsemé de lucioles, les yeux dans les étoiles est un moment que je savoure longuement avant de rejoindre un intérieur à plus de 30 degrés. Les bonnes couettes de Patagonie gisent à nos pieds dorénavant…..
Samedi 30 Mai : RAS
Depuis trois jours l’uniformité s’est imposée et écrire la chronique journalière devient moins simple. Uniformité du beau temps, dont le schéma est invariable. Grand bleu au-dessus de nos têtes, les petits cumulus bien alignés à l’horizon enflant un peu au lever et coucher du soleil avec sur ses premières et dernière heures un ou deux vagabonds apportant un peu d’ombre. Uniformité quasi- totale du bleu profond de la mer, juste assombri par les rares survols de nuages. Uniformité du temps qui passe, rythmant nos repas, les siestes et les heures de repas. Uniformité de l’absence de manœuvres puisqu’on a rien touché depuis trois jours. Uniformité des quarts pour chacun en dehors du changement d’horaire. Constance de la voute céleste, la croix du sud basculant tranquillement au sein de la voie lactée au fur et à mesure que l’aube approche. Uniformité de la mollesse des lignes, trainant de chaque côté de notre arrière et attendant le prochain client. En dehors de l’uniformité générale, peu de nouvelles. Notre confinement volontaire se poursuit alors qu’en France, les mails nous décrivent le frémissement de sortie du corona blocage. Aujourd’hui chacun prend sa dose de soleil en restant prudent, il cogne le bougre. Dans l’après-midi, le démon du bricolage, parti se promener depuis deux jours, ressort du fond de la cale pour poursuivre Bernard. A son air songeur, je sens qu’il cherche une solution pour l’alternateur d’arbre, seul élément de confort qui nous manque pour ne pas faire tourner le moteur deux heures par jour. Nous ne sommes pas spécialistes, après l’avoir, nettoyé et remonté il y a quelques jours, la dernière chose à tenter et de vérifier est le bon appui des charbons sur le collecteur. Bernard met son bleu qui devait lui manquer et démonte le boitier de support des charbons. Effectivement, un des deux est plus court que l’autre, peut-être n’appuie-t-il pas bien. Nous réussissons après avoir fait sauter un petit rivet à le sortir de son logement. Nous rallongeons le fil qui le relie au connecteur en soudant un bout de cuivre torsadée au bout, dans la houle l’exercice est délicat. Nous remontons le tout et les deux charbons sont maintenant au même niveau. Bernard retourne dans son antre refixer le boitier et l’on essaie : NADA. C’est sûrement un élément électronique qui a cramé et nous ne pouvons rien faire de plus. Verdict : tour de barre pendant la journée et deux heures de moteur pour recharger les batteries : à l’apéro pour gérer le pilote la nuit et au petit déjeuner pour revenir au bon niveau et faire un coup de dessalinisateur, la douchette de la plage arrière servant plus souvent par cette chaleur. A midi nous avons opéré un nouveau changement de fuseau horaire, en prévoyant le prochain dans trois jours. Donc la nuit tombe plus vite sur nos montres et nous surveillons les lignes attentivement à partir de 17H30. Notre dernier morceau de Coryphène sera avalé en Gravlax ce soir et je le trouve encore meilleur que celui de Thazard, déjà succulent. La douceur pacifique fait sortir la guitare de sa housse pour un plaisir musical sous les étoiles de presque deux heures, auquel je sacrifie seul avec bonheur, Jeanne et Bernard restant ce soir à l’écoute.
Dimanche 31 Mai : Repos
Le vent a encore baissé entre 3H et 6H00 et les voiles n’ont pas arrêté de claquer. Je relaie Yves qui lance un laconique « quart merdique ». Le vent a un peu repris et varie moins. Cela ne m’étonne qu’à moitié, j’ai souvent de la chance avec les conditions lors de mon quart. Vue la charge batterie, le pilote a dû compenser la houle et le bateau secoué dans tous les sens par manque d’appui du vent. Je démarre le moteur pour une petite heure puis prend la barre avec le lever du jour. La brise est remontée et La Cardinale avance mieux. Hervé me sert café et tartines barrées suivant l’adage « le barreur a droit à tous les égards ». De plus aujourd’hui c’est Dimanche et je suis « hors service », Jeanne prenant le relais au fourneau. Vacances !!! Une très longue houle de Sud-Ouest est arrivée et se conjugue avec celle du sens de la route. Par moment cela nous fait prendre l’ascenseur pour une vision haute sur l’horizon. Cela semble aussi plaire aux poissons volants qui s’envolent par grappe, toujours sur bâbord et vers le Sud et planent sur une longue distance. Le gâteau du Dimanche est une recette que Jeanne a récupéré de nos amis chapelains Françoise et Patrice (venu naviguer sur La Cardinale en 2016). Lors d’un chant ’appart dans leur maison, chemin de Grasse Noue, Bernard très gourmand avait flashé sur ce gâteau autrichien, sablé avec une mousse café et avait demandé à Jeanne, pâtissière en chef de refaire le même. Il est réussi à merveille et s’accorde parfaitement avec le café dominical. Evènement remarquable, Hervé qui ressent de plus en plus les effets de la chaleur se rase : sa barbe date de son arrivée à Puerto Montt en février et il met une bonne demi-heure à en enlever toute trace tout en gardant son éternelle moustache de phoque, dont le centre est jauni par des années de bouffarde. Un beau jeune homme pour aller voir les Vahinés ….. Aujourd’hui il y a quelques grains avec un peu de pluie fine qui nous rafraichissent au passage. Ils sont surtout porteurs d’arc en ciels magnifiques. Ce matin nous en avons vu des presque horizontaux comme un tatouage en haut de la joue du nuage et dans ce milieu d’après-midi, deux se profilent sur notre arrière donc un double qui finalement posera son arche de bâbord à tribord, la poupe bien dans l’axe. Si il pouvait attirer un Thazard, il serait béni des dieux de la mer….Farniente total en ce dimanche de pentecôte avec un vent qui revient en fin d’après- midi, La Cardinale est heureuse et le dit, ses soubresauts ne sont plus qu’épisodiques. Nous nous gratifions d’un bon GIN TONIC et Jeanne concocte des tagliatelles aux légumes relevées à la perfection. Cela sent la sérénité, le bonheur loin des ennuis du monde. Nous n’avons croisé aucune présence humaine en pleine mer depuis le 27 Avril, juste des traces de l’ère industrielle : un bidon de plastique orange, un paquet de cordage synthétique perdu dans l’immensité du pacifique. La répétition chant qui suit notre dîner est juste partagée avec l’alizé, les étoiles et La Cardinale qui couve son équipage.
Lundi 1 er Juin : Atelier plomberie SYMBIOSE.
Après plus de deux mois à bord et un mois en plein mer nous sommes en symbiose avec La Cardinale. Comme elle, le groupe recharge les batteries de celui qui en a besoin lorsqu’il est hors quart. Nous sentons plus facilement les mouvements de balancier mais chacun respecte le vieil adage, lui aussi symbiotique: « main pour soi, une main pour le bateau » car la conjugaison de deux houles crée des rappels irréguliers qu’il est difficile d’anticiper. La barre nous semble aussi plus douce. Nous avons pris la mesure du navire dans ces conditions de vent et de mer et nous nous efforçons de donner le minimum d’angle possible au safran, car la carène a du volume et la quille de la longueur, quand un virage est amorcé, il faut tirer fort pour ramener la belle dans l’axe. S’efforcer n’est pas le bon mot, ce serait même le contraire, on fait dans la sensibilité et à l’instinct. Nous n’avons plus à réfléchir et c’est le cerveau reptilien qui prend le relais. Cela permet à l’autre de vagabonder et d’être mené au gré des souvenirs et des émotions. C’est ce que je vis ce matin en reprenant la barre à Yves, je teste même le fait de barrer yeux fermés pendant plus d’une minute sans aucun problème, mes capteurs sont bien en place, interconnectés avec le bateau. Ma pensée vole vers Félix qui approche des 18 mois et que je n’ai pas vu depuis Noel. 6 mois, moins d’un pour cent de la vie d’un homme et que de changements majeurs sur la période , marcher, parler, manger tout seul, cavaler, s’affirmer auprès de ses grands frères tout en se faisant câliner par ses parents. Si l’on pouvait écrire ces moment-là ….Puis je songe à la grande mer et aux marins au long cours, ceux qui passaient beaucoup plus de temps à bord qu’à terre et voyaient leurs enfants par étapes, au gré des débarquements. Michel et Marie Claire ont vécu cela avec leurs trois garçons si rapprochés et Michel a posé son sac dans un bureau et une salle de cours de l’Ecole de la Marine Marchande à Nantes, sûrement pour mieux voir grandir et ses fistons et ne pas laisser toute la charge à celle qui reste à terre. Et puis il y a ceux qui ont dû choisir entre leur maîtresse de cœur, la mer et une dame douce comme les alizés et aussi capricieuse qu’une journée en Patagonie dont on dit qu’elle couvre les quatre saisons du matin au soir. Un soir de fin d’escale, elle a mis un ultimatum et il a fallu trancher entre le bleu de la maitresse et les yeux de la belle. Ceux qui ont fait le choix, quel qu’il soit se reconnaitrons. PLOMBERIE. Mes pensées sont interrompues par Hervé qui me demande si je suis déjà allé aux toilettes : « oui, pourquoi ? Ben parce les chiottes sont bouchées… », Je n’ai pourtant pas eu de problème pour tout évacuer. Lundi de Pentecôte, jour férié quoique de manière adaptable depuis quelques années. Pour nous c’est Atelier Plomberie !! Quitte à démonter, autant le faire en grand car cela fait trois ans que les WC du poste avant fonctionne 6 mois par an et nous connaissons bien le verdict d’encrassement progressif des tuyaux. C’est parti pour le grand détartrage et nettoyage. Hervé démonte la pompe et commence à la nettoyer. Bernard dépose tout le reste, vannes et tuyaux. J’ai droit à démarrer plus tard car la coiffeuse du bord officie même les jours fériés et j’en profite. Je suis beau pour commencer à détartrer les tuyaux en passant une grande tige filetée et les vannes au tournevis puis laver le tout à grande eau avec les seaux que tire Yves. Nous faisons tremper les vannes dans de l’acide muriatique pour terminer la partie mobile la moins accessible. Comme sur chaque chantier la pause est la bienvenue avec une bonne bière citron, des avocats pascuans succulents et une salade Veggan. Après un café et une bonne sieste (le syndicat a négocié avec le patron), nous remontons l’ensemble qui fait un doux bruit sans couinement signe que la fluidité est atteinte. Encore un petit instant de bonheur. Vers 17H00, le ciel est méditerranéen, enfin presque car dans un coin d’horizon il reste une micro trace de cumulus flottant au-dessus de l’horizon. C’est incontestablement la plus belle journée depuis notre départ du continent, en prime le vent est remonté légèrement plus Nord Est et nous faisons route directe plein Ouest. Nous avons fait exactement 800 Milles en 6 jours, soit 133 milles de moyenne jour ce qui est très honorable pour la vaillante goélette et sommes à un peu plus de 650 milles de l’archipel des Gambier. Lors du démontage des tuyaux, Bernard avait déménagé une caisse de vin et d’alcool. Mal calée elle avait valsé dans un coup de roulis et deux bouteilles de Pisco ont été perdues corps et biens. Le pitaine est donc à l’amende pour nous offrir un Pisco qu’il soustraite à la maîtresse du genre. Bien frais, cela reste un must de La Cardinale. Il sera suivi d’un risotto crémeux à l’encre de seiche. La nuit n’est pas d’encre car la lune est aux trois quarts et crache comme les lampadaires devant la mer à La Turballe, plus difficile de distinguer les constellations ce soir ….
Mardi 2 juin : PITCAIRN
Oublié Hier, nous avons reçu deux mails de « pestiférés du corona ». Le premier était transféré par un copain de Bernard qui correspondait pour nous avec l’administratrice de Pitcairn, Charlen. La petite communauté de cette île perdue si particulière n’a évidemment aucune envie de prendre le risque d’un cas de contagion qui serait dramatique vu son isolement et il nous était clairement signifié de ne pas s’arrêter, même dans un mouillage. Pour ceux qui n’ont jamais vu ce grand classique « les révoltés du Bounty » avec Charles Laughton et Marlon Brando, voilà de quoi rafraîchir les mémoires et comprendre la situation ainsi que notre frustration de pouvoir s’y arrêter. En 1789, Le Bounty commandé par le capitaine William Bligh a pour mission de transporter des arbres à pain de Tahiti aux Antilles. Bligh qui a participé en tant que lieutenant à la première expédition de Cook en Polynésie connait déjà le secteur et arrive à Tahiti en Octobre 1788 avec 44 membres d’équipage et repart en Avril de l’année suivante avec sa cargaison de plants. Le 28 Avril 1789, la mutinerie a lieu au large des îles Tonga. Un petit groupe d’hommes commandé par Fletcher Christian prend le contrôle du navire et abandonne Bligh et 18 membres d’équipage dans une chaloupe. Le navire retourne à Tahiti, embarque des vaches, des cochons et des volailles afin de s’installer durablement sur une île. Un essai à l’île Tubuaï, la plus grande ile des Australes se solde par un échec, le bétail détruit les cultures ce qui provoque la colère des habitants. Des combats meurtriers s’ensuivent et les mutins repartent laissant l‘ile dévastée avec 80 autochtones tués. Le Bounty repart à Tahiti, y reste vingt-quatre heures, plusieurs mutins choisissent de débarquer et des polynésiens, hommes et femmes embarquent, certains étant trompés car juste venu faire leur adieu alors que le navire fait route vers le large. Fin Janvier 1790, le Bounty arrive à Pitcairn. Fletcher Christian en avait eu une description par le capitaine Carteret et pensait qu’elle convenait à son dessein. Après avoir débarqué tout ce qui est utile, le navire est brûlé et la petite communauté s’installe et l’île est divisée en parts attribuées aux membres d’équipage mais pas aux polynésiens. Ceux-ci obligés de travailler pour les marins deviennent presque des esclaves mais chacun se satisfait des conditions d’une vie simple en harmonie avec la nature. Mais deux ans plus tard, un des mutins qui avait perdu sa femme (une tahitienne) exigeât qu’on lui en fournisse une autre et l’on forçat un autre polynésien à lui donner la sienne. C’était trop d’injustice pour la communauté Maori et des combats éclatèrent plusieurs fois au cours desquels Christian perdit la vie ainsi que tous les hommes polynésiens. En Octobre 1793, il ne restait plus alors que quatre mutins, dix femmes et quelques enfants. Après un essai de rébellion, les femmes acceptèrent leur condition. On construisit des pirogues pour aller à la pêche. Les années passèrent et seuls restèrent Young et Adams, qui petit à petit évangélisèrent toute la communauté de femmes et d’enfants. Adams mourut en 1829. En 1831, le gouvernement britannique, dont certains bateaux étaient passés à Pitcairn, craignant que le sol de l’île (d’une surface à peu près équivalente à celle de Houat) n’arrive plus à nourrir les 86 habitants décida d’expatrier vers Tahiti une partie de la population. Mais au vu des mœurs des tahitiens estimés licencieuses à leurs yeux, ces hommes simples, éduqués dans la foi de Dieu, demandèrent à retourner chez eux. En 1856, la population atteignit 200 habitants ce qui décida le gouvernement néo-Zélandais à déporter la population sur l’ile de Norfolk au Nord de la Nouvelle Zélande. C’est là que vivent aujourd’hui la plupart des descendants des mutins du Bounty. Quelques failles revinrent cependant à Pitcairn et l’île compte actuellement une soixantaine d’habitants, c’est un territoire britannique administré par la Nouvelle Zélande. Cette histoire unique ajoute à notre frustration de ne pouvoir s’arrêter sur cette île isolée en plein pacifique. Le deuxième mail émanait des Gambier, nous signifiant que nous devrions respecter une période de 14 jours en quarantaine sans descendre à terre. Nous essayons de repréciser notre demande de rester juste deux jours au mouillage mais cela ne parait pas simple. Le dernier mail précise que l’on sera assigné sur une bouée désignée par la Gendarmerie pendant 14 jours. Quelle est la différence entre rester 2 jours et repartir et rester 14 jours et repartir ….nous ne comprenons pas. Il fait plus chaud aujourd’hui avec 34° dans le carré dans la journée et les tours de barre sont plus courts en plein soleil. Nous réparons la douchette à l’arrière qui fuyait avec un mastic spécial et elle ne sera opérationnelle que demain, on attendra pour une petite douche fraîche. J’ai anticipé la chaleur pour le menu. Ce soir Gazpacho et petits tapas !! On se met à l’heure espagnole même si on dîne plus tôt là-bas.
Mercredi 3 Juin : CoronaVirés des îles Le programme initial de La Cardinale était le suivant : après les travaux, mise à l’eau aux alentours du 1 er Mars à Puerto Montt puis ballade de deux semaines en remontant jusqu’à Valparaiso. Changement d’équipage, puis Valparaiso Juan Fernandez, ensuite Ile de Pâques, puis Les Gambier et enfin Tahiti. Je devais pour ma part embarquer à Valparaiso avec Yves et reprendre un avion de l’ile de Pâques pour renter via Santiago. Une semaine de retard dans les travaux ont modifié le programme de ballade avec Tim, Benjamin et Solène qui sont partis autour de Chiloé. Lorsque le 12 Mars nous avons pris l’avion avec Yves, le covid19 était à nos trousses et nous avons dû nous planquer dans les caletas des canaux. Les derniers échanges de mail avec les affaires maritimes de Tahiti ont confirmé notre statut de Coronavirés des îles perdues. Exit la visite de Juan Fernandez et de l’ile de Pâques, interdit même le mouillage à Pitcairn et quarantaine de 14 jours aux Gambier alors que nous n’avons vu personne depuis le 25 Mars , Ridicule !! Cela sera intéressant de savoir quels voiliers ont éventuellement navigué dans notre secteur pour une Trans pacifique similaire, on est peut être bien le seul. Guy et Mira sont toujours à Valdivia en attente de repartir et c’est les seuls qui semblaient à notre connaissance être autorisés à bouger. Hier soir, à l’apéro nous avons donc pris la décision de faire route directe sur Papeete en s’appuyant sur le mail des « affmars », précisant que si nous subissions un test négatif au Covid 19 à l’arrivée nous pourrions ensuite nous déplacer librement. En espérant que l’on ne reste pas 10 jours au mouillage près de la ville en attendant ce test. En tout cas cela nous fait 1400 milles à « tailler la houle du pacifique, toujours à l’ouest et plume devant « comme chante Michel Tonnerre dans La Rochelle. Effectivement le Cap est 278 pour Papeete, et ce matin nous avons tangonné le génois affalé la misaine pour se retrouver « plein cul » (vent arrière en langage de voileux). La Cardinale est facile à barrer, par contre la houle étant encore de trois quart tribord, ça roule dur et la cuisine comme la boulange sont redevenus plus qu’acrobatiques. La réparation de la douchette arrière n’a pas marché, le coude de sortie qui doit être d’origine est complètement rongé et nous renonçons à le changer. Il faut sortir la majorité de ce qu’il y a dans les coffres arrières, refaire un montage et avec le roulis, nous nous passerons du luxe de la douche extérieure pour la remplacer par un coup de seau d’eau ou une douche classique à l’intérieur si besoin. Les vivres frais commencent à souffrir de la chaleur et nous remplissons le frigo et adaptons les menus en conséquence. Nous sommes au régime banane, délicieuses mais dont le mûrissement s’accélère. Donc ce soir, je renouvelle le Parmentier Pascuan BPB (Boudin Pommes Bananes) que je prépare le matin avec Yves et Jeanne pour qu’il soit prêt pour le soir car certains jours, se mettre en cuisine deux fois dans la mer agitée est un peu pesant. Nous recevons dans l’après-midi par mail les papiers à remplir pour notre arrivée à Tahiti mais comme tous les fichiers sont en Pdf on ne peut rien en faire et nous redemandons les fichiers dans un autre format. Le vent monte tranquillement et au coucher du soleil nous enlevons le tangon. Aller le manœuvrer la nuit suite à une embardée avec cette mer croisée n’est pas des plus prudent et nous repassons tribord amure avant le repas, c’est plus sage. La lune est presque pleine est nous sommes « pleins phares » pour voir la houle sur l’avant. Nous avons suffisamment de batterie pour utiliser le pilote mais je préfère barrer en chantant sous les étoiles car on ne rencontre pas ce type de conditions tous les jours. La Cardinale laboure les lames mais est bien volage car celles-ci ne sont pas régulières et quand deux se croisent, elle lève bien sa poupe et a tendance à donner un bon coup de lof qu’il faut anticiper en tirant dur sur la barre. C’est sportif et sensitif…bel exercice de style !!
Jeudi 4 Juin : VIVE LA MUSIQUE !
Le vent oscille entre 25 et 30 Nœuds et nous descendons au bon cap sous génois et grand-voile à trois ris, grand largue. Ça pousse dur et si l’on a la chance de ferrer un poisson il a intérêt à s’accrocher. D’ailleurs sur la grosse ligne, l’élastique qui nous sert à voir si l’on a pris quelque chose a explosé sous une belle vague. Les fichiers Gribs nous promettent cela encore deux jours en passant un peu plus Nord, c’est bien pour la distance parcourue, moins pour le confort. Pas de prouesse en cuisine, j’en profite pour trier des textes de chansons sur mon PC, ce n’est pas ce qui manque avec le répertoire collecté depuis des années auprès de tous les copains avec qui j’ai musiqué, en concert ou en soirée. Tenez plutôt : NIGHTINGALE première expérience de groupe vite avortée mais un concert mémorable au triolet, enregistré par Daniel, copain fou de son et de musique et aussi la découverte d’AN SEIZUN à MESQUER qui va m’ouvrir la MTI (musique traditionnelle irlandaise). Puis MELTING FOLK mon groupe de cœur : des gars une fille et quelle fille !! Sylvie que l’on soutiendra dans ses épreuves jusqu’à notre premier concert au Sulky …. Quelle émotion : notre accordéoniste encore fragile avec son sourire légendaire, la pêche revenue et tous les copains envahissant un bar trop petit au grand bonheur des patrons et nous rejouant deux fois notre maigre répertoire à la demande générale. Suivront de beaux concerts dans ce bistrot de quartier, la rencontre avec Robert qui deviendra notre violoniste pour un style mélangé assurant une énergie et une franche rigolade sur scène comme en répète et une amitié indéfectible avec Mathieu, Fred, Julien malgré l’arrêt de la belle aventure. Melting Folk sera au cœur de programmation musicale du Marché fermier de la Pannetière qui après une programmation rock passera à un folk tout azimut portés par les groupes de copains. C’est au Sulky que je rencontrerai LES RECENEURS dans une troisième mi -temps animée. Ils m’offriront la chance de les rejoindre pour de super concerts dans de belles salles et une participation à leur deuxième album et les piges continuent à l’occasion autour du beau répertoire de Christian, dit Le Basque. Commencera alors la première partie de l’aventure BOUTÔVENT, trio mariné avec Rodolphe et Jacky, puis Anthony qui nous rejoindra et en point d’orgue notre participation à Paimpol 2013, le must !! C’est aussi l’époque des sessions à Nantes, au Dock Yard, puis au De Dannan et enfin au Triolet (le retour) où je rencontrerai les meilleurs musiciens du coin en musique irlandaise, c’est eux qui me feront progresser au Bouzouki avec de beaux souvenirs lors des Saint Patrick’s day. L’arrivée d’Hélène, Victoria et David nous fera fonder PHILEAS FOLK en parallèle de BOUTÔVENT pour un répertoire plus celtique et joué en Fest Noz avec entrain. La croisière enchantée (pendant une semaine, une dizaine de bateaux naviguent le long de notre côte en chantant dans les ports chaque soir) me fera rencontrer nos amis d’ARVAG et les chansons de Marie France. A Saint Nazaire, une saison de pige au sein de FULL MOON pour remplacer Fabien me fera vraiment bosser, soumis à l’exigence et la rigueur de Gilles (merci à lui). Notre arrivée à La Turballe me verra intégrer STEREDENN VOR, partager avec bonheur les soirées avec Yann et toute la bande et côtoyer les MALS de MER et notre regretté Giacomo. Enfin BOUTÔVENT passera au cran supérieur avec la rencontre de vrais musiciens, Elise et Gaétan dont la modestie égale le talent et qui nous pousseront à revisiter notre répertoire avec une touche de plus en plus originale. Quelle chance !! Pour ceux qui ont vécu le départ de LA CARDINALE et cette belle fête au ponton BELEM en septembre 2014, BOUTÔVENT était déjà de l’aventure en assurant l’animation musicale. Avec l’embarquement régulier de votre serviteur, c’est une partie du groupe qui anime le bord musicalement avec le concours des chanteuses et chanteurs du bord, Jeanne et Bernard en tête. Depuis LA CARDINALE apporte un soutien indéfectible à la formation. C’est avec celui-ci que je me permets ces quelques lignes : Vous, mes ami(e)s qui lisez cette chronique assidûment (ou non) sachez (pour ceux qui l’ignorent) que BOUTOVENT a sorti son album DEUXIEME BORD, que nos concerts ont été annulés depuis l’arrivée de notre copain CORONA et que nous n’avons pu le faire découvrir sur scène. . Si vous soutenez la musique vivante, les musiciens amateurs, les copains de La Cardinale, alors vous ne pouvez pas laisser passer l’occasion de nous soutenir en commandant cet excellent CD (Facebook Boutôvent et site Web www.boutovent.net .
J’en finis avec cette chronique plus musicale que maritime, mais bon j’écris ce que je veux non mais !! Le vent tourne doucement vers le Nord, nous renvoyons un peu de génois et le pilote est plus à l’aise pour barrer. Je profite d’un gros grain pour me rincer à l’eau douce mais il est trop court pour tenter le shampoing. Sous un soleil filtré, la mer est couleur mercure et brille comme l’argent bien astiqué. Les bananes très avancées qui étaient pendues dans le filet sous le portique ont été mises à mal par leur copines les oranges dans les grands coups de gîte, et la seule issue est de tenter un apéro spécial pour l’occasion. Je les mixe avec du rhum un jus de citron, de l’Aloe Vera et de l’eau : mélange adopté par tous sauf Hervé qui n’aime pas trop les mélanges sucrés. Le premier quart est agité avec deux gros grains et l’adaptation de la voilure. Ciel chargé qui nous cache la Lune pourtant pleine et les étoiles mais qui n’apporte pas plus de fraîcheur, il fait 32° à l’intérieur et les occupants des bannettes du bas, Yves et Hervé prennent un bon coup de chaud. Nous avons fait 155 Milles aujourd’hui avec une pointe à 14,8 Nœuds notre record…Pourvu qu’ça dure !!